La nouvelle est tombée ce matin, 21 février. Le Karaté ne figure pas dans la liste des sports additionnels présentée au CIO par le Comité d’organisation des JO 2024 (COJO). L’aventure olympique se finit avant même qu’elle ne commence ! Un coup très dur vécu comme une trahison de l’esprit olympique. Une surprise totale et une injustice pour beaucoup, surtout en l’annonçant avant les JO de Tokyo. Analyse et témoignages de Steven Da Costa, Gwendoline Philippe, Uygur, Horne, Horuna, Thomas…

Par Ludovic Mauchien / Photo : Kphotos


 

C’est un tremblement de terre, que dis-je, un cataclysme qui vient de s’abattre sur le Karaté. Un coup de massue, un coup de couteau dans le dos, un coup d’arrêt comme peu l’ont vécu ! Pour tuer un sport, on ne s’y prendrait pas autrement ! Le Karaté serait-il le mal-aimé de l’olympisme ? Il ne faut bien sûr pas tomber dans la paranoïa et la théorie du complot, mais le calendrier, la méthodologie et les choix avancés par le COJO 2024 et le CIO ont de quoi en faire perdre son latin.

Pour résumer, le 21 février (aujourd’hui), le COJO devait annoncer officiellement sa liste de sports additionnels pour Paris 2024. En juin, le CIO devait la valider (ou non) puis, en décembre 2020, soit après les JO de Tokyo, ce même CIO devait officialiser ces « nouveaux » sports.

Deux options se présentaient alors au COJO : donner une liste large de 8 ou 9 sports, laissant la chance à ceux choisis pour Tokyo de montrer leurs atouts et, en quelque sorte refiler le bébé politique au CIO quant au choix final. 2e option : proposer une liste serrée et quasi-finale.

Tony Estanguet et son équipe ont donc choisi la 2e option. Ils ont proposé l’escalade, le skateboard et le surf, déjà présents en 2020, et le breakdance. Dans son communiqué officiel titré « Paris 2024 : une expérience révolutionnaire », le COJO explique ainsi son choix : « Paris 2024 propose l’intégration de quatre nouveaux sports, avec la jeunesse, la créativité au service de la performance, la dimension spectaculaire et l’inclusion comme dénominateurs communs.

Paris 2024 concrétise son ambition de proposer des Jeux uniques : accessibles, populaires, qui sortent des stades et viennent à la rencontre du public, des Jeux qui offrent une dimension participative et inclusive jusque-là jamais vue. […] (Un choix) guidé par trois grands principes : (1) Des Jeux durables et responsables, avec des sports proposant un nombre d’athlètes limité et ne nécessitant aucune construction pérenne. (2) Des Jeux connectés avec leur époque, qui inspirent de nouveaux publics et attirent la jeune génération, avec des sports qui se partagent sur les réseaux sociaux, qui sont moyen d’expression et style de vie, et se pratiquent partout au quotidien, en ville comme dans la nature. (3) Des Jeux reflets de l’identité de Paris 2024, autrement dit spectaculaires, créant des ponts avec la culture et qui invitent à l’engagement, accessibles, inclusifs, praticables hors des stades et faisant appel à la créativité ».

Libre à chacun de penser ce qu’il veut mais, visiblement, le Karaté ne correspondrait pas à ces critères dans l’esprit du COJO 2024. Difficile pour l’heure de connaître les réels tenants et aboutissants. C’est même l’incompréhension pour beaucoup. Reçus mi-janvier par Jean-Philippe Gatien, le directeur des sports de Paris 2024, les représentants de la fédération française sont repartis rassérénés et confiants. « On cochait toutes les cases », s’étonne aujourd’hui le DTN, Dominique Charré (voir son interview). « On a 150 000 jeunes. On est présent partout sur le territoire. On gagne des médailles, les athlètes sont au cœur du projet… Je suis choqué ! Je ne m’y attendais pas du tout ! ».

Plusieurs arguments peuvent être avancés pour expliquer ce choix. Pour les profanes des sports de combat, soit l’immense majorité des gens, le Karaté et le Taekwondo, présent depuis 2000, c’est la même chose. Mais, surtout, l’ambition (et l’obligation) de Thomas Bach, le président du CIO, de rajeunir les Jeux et (re)développer leur attrait auprès de la jeunesse favorise logiquement l’arrivée du skateboard et du breakdance.

Une réflexion renforcée aux Jeux olympiques de la Jeunesse (JOJ) l’an passé, où le breakdance a fait un tabac (qualité de l’organisation du tournoi, spectacle garanti, public en verve), le Karaté beaucoup moins. Un autre critère a aussi pu jouer : le nombre d’athlètes. A Tokyo, les sports additionnels ne rentrent pas dans le quota (10 500), à Paris, si. Le breakdance, ce sera 32 participants, le Karaté 100.

Dans le communiqué de presse du COJO, Tony Estanguet motive le choix de ces 4 sports : « Depuis le début, nous avons la volonté de proposer des Jeux qui marquent les esprits, qui surprennent. Nous avons fait le choix de 4 sports spectaculaires, résolument tournés vers la jeunesse, avec une forte dimension créative et qui s’inscrivent pleinement dans notre vision. Nous avons la conviction que le breakdance, l’escalade, le skateboard et le surf vont contribuer à renforcer notre projet ».

Mais, bien au-delà du choix, c’est le calendrier qui choque. Le monde du Karaté était en émoi depuis 2016. Les mômes se mettaient à rêver. Les champions de tout pays redoublaient d’effort à l’entraînement pour vivre un moment exceptionnel. Les fédérations ont investi, se sont même parfois endettées, pour briller aux Jeux olympiques. La mécanique commençait à s’enclencher, les sponsors, sans se bousculer pour l’heure, scrutaient plus attentivement le Karaté. Le coup d’arrêt est brutal. Il est surtout cruel pour les athlètes. Avant même qu’ils ne vivent leur rêve, celui-ci s’est déjà éteint.

Réactions

Steven Da Costa (France), 22 ans, champion du monde 2018

« J’ai appris la nouvelle en recevant plein d’appels de médias ce matin. Je n’étais pas au courant. J’ai appelé la fédé pour savoir si c’était une rumeur ou si c’était vraiment officiel. Je suis tombé de haut ! C’est comme si j’avais appris un décès. C’est une incompréhension totale. C’est démotivant, démoralisant… Je n’ai même pas les mots pour décrire ce que je ressens. J’ai un sentiment d’injustice, grave ! En plus, c’est à Paris, en France, que l’on se fait refuser, alors que le Karaté français fait partie des top nations. On est dans le top 3 sur quasiment toutes les compétitions. Je ne comprends pas !

On est 250 000 licenciés. On veut des jeunes en 2024. On a plus de 120 000 licenciés jeunes, 5000 clubs, dans toutes les villes, les quartiers populaires, partout. Vraiment, c’est une incompréhension totale !Je ne dénigre aucun sport, je respecte n’importe quel athlète de n’importe quelle discipline mais se faire remplacer par le breakdance qui a 6000 licenciés, qu’on m’explique, qu’on m’explique ! On n’a même pas la chance de prouver à quel point notre sport est beau et que nous avons une belle discipline. On rentre en 2020 pour repartir derrière. On ne passe même pas de l’ombre à la lumière. On passe de la lumière à l’ombre.

Cela va changer plein de choses. Cela va dégoûter une paire de gens. Et cela change tous les projets. Je me battrais pour 2020 et je ferai tout pour devenir champion olympique à Tokyo. Derrière, je ne sais pas ce qu’il se passera. Je ne sais pas quel objectif j’aurai après. Tout est changé ».

Gwendoline Philippe (France), 19 ans, double championne du monde Jeunes

« Je suis d’abord très étonnée... Car chacun de nous voyait le Karaté aux Jeux olympiques de 2024... Et je suis assez déçue forcément. Vivre cette expérience doit être extraordinaire, alors la vivre à la maison, ça l’est encore plus ! De plus, j'aurais eu tout juste 25 ans, c'est un peu l'âge d'or au karaté. Déçue aussi car je pense que notre sport véhicule de belles valeurs. Maintenant, mon objectif a toujours été et est encore plus les JO 2020 à Tokyo. On m'avait dit trop jeune pour espérer y participer. Aujourd'hui, je suis en plein dans la course et, à force de travail et de persévérance, je compte me qualifier et remporter l'or à Tokyo. Paris 2024 était un objectif bien sûr, mais seulement dans un second plan ».

Burak Uygur (Turquie), 23 ans, double champion d’Europe

« Malheureusement, je viens de l’entendre. Je suis choqué. C'est une énorme surprise pour moi, parce que je pensais que « la France est un pays de karaté. Les Français aiment vraiment ce sport et ils ont du succès en karaté. Le karaté sera donc définitivement à Paris en 2024. Mais je vois maintenant que je me trompe, c’est une mauvaise nouvelle pour tous les amoureux du monde et du karaté du karaté.

Jordan Thomas (Angleterre), 26 ans, champion du monde 2016

« L’objectif aujourd’hui, c’est 2020 et il est très difficile de regarder au-delà de ce cycle olympique. Nous voulons que le Karaté soit définitivement un sport olympique et je pense que Tokyo ne peut apporter que des résultats positifs et une progression de notre sport pour ensuite être en lice pour un retour les Jeux ».

Jonathan Horne (Allemagne), 30 ans, champion du monde 2018

« Que dire ? Je suis très triste que notre sport n’aura pas l’opportunité d’être un sport olympique dans l’avenir. Ce n'est pas juste que le karaté soit le seul sport de combat qui ne soit pas sport olympique. Nous sommes l'un des sports les plus importants et les mieux organisés de tous. Je souhaite que nous puissions revenir et montrer en 2020 au CIO et au monde entier que le karaté est un sport intéressant et magnifique ».

Stanislav Horuna (Ukraine), 29 ans, multi-médaillé européen

« Je suis profondément déçu. C'est dommage qu'un sport aussi merveilleux, intelligent, complet et dynamique ne figure pas dans le programme olympique. Le karaté est un sport qui surpasse de nombreux autres sports olympiques par son côté spectaculaire et ses exigences techniques. C’est largement mérité d’être aux Jeux olympiques selon tous les critères du CIO ».

Amir Mehdizadeh (Iran), 29 ans, champion du monde 2014

« En fait, je suis choqué, car le Karaté est un sport complet et il est pratiqué dans de nombreux pays. Je pense que le Karaté manquera aux Jeux Olympiques, ce n’est pas le karaté qui manquera les Jeux ! ».

Thomas Scott (USA), 28 ans, multi-médaillé panaméricain

« C'est une nouvelle décevante en effet. Je pense qu'il y a encore une chance que le Karaté puisse être inclus et j'espère que ce sera le cas. La France aurait une très forte chance d’obtenir des médailles en 2024. Il est possible d’intégrer la liste. Espérons ! »