Inspecteur principal de la Jeunesse et des Sports, ancien n°2 de la Direction des sports au Ministère éponyme, Directeur technique national (DTN) de la FFKaraté, Dominique Charré ne comprend toujours pas la décision du COJO d’exclure le Karaté de l’aventure olympique à Paris en 2024. Et il n’obtient pas de réponse à ses questions. Ce qui renforce son opinion que le Karaté doit être olympique. Il s’attèle à montrer que ce choix est illogique et injustifié.

Par Ludovic Mauchien

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Depuis plusieurs mois, une image le taraude, et lui apparaît régulièrement. « Une image assez terrible. Tony Estanguet remet des médailles sur un podium. Sur la 3e marche, il y a 1 skateboarder et un surfeur. Il leur remet la médaille. Sur la 2e marche, il y a un gars qui fait de l’escalade, il lui remet la médaille. Et, sur la 1ère marche, il y a le Karatéka qui se penche pour recevoir la médaille, et là, il lui met la corde du pendu ! C’est l’image que j’aie de la manière dont on a été traité. Le dommage collatéral dans cette histoire, c’est nous. Celui qui est mort, c’est nous ! Il ne faut pas se tromper ! ».

Plus de 6 mois après l’annonce du COJO de Paris 2024 de ne pas choisir le Karaté comme sport additionnel, Dominique Charré n’a toujours pas digéré. Il en reste encore béat. Et il se bat. Pour comprendre déjà, pour connaître les raisons de cette exclusion -ce qu’il estime être le minimum- et pour tenter d’infléchir la décision, qui est un véritable non-sens pour ce haut fonctionnaire, qui a fait toute sa carrière au sein du Ministère des sports.

Directeur des sports en Nlle-Calédonie, directeur du CREPS de Talence, DTN de la FFKaraté, sous-directeur du service des sports, puis de nouveau DTN au Karaté, Dominique Charré ne comprend pas et ne s’en satisfait pas. Son sens de l’Etat et sa haute vision de l’Institution, incontestables, ne lui permettent pas d’apporter des éléments de réponse. Par contre, il en mesure très bien les conséquences au quotidien…

Qu’est-ce qui a été enclenché ?

On s’appuie beaucoup sur un programme qui s’appelle « Belt of Hope », qui figure une ceinture de Karaté colorée aux couleurs olympiques, et que l’on distribue à un grand nombre de Constitutionnels pour leur faire savoir la situation particulière du Karaté au regard de la décision du président du COJO, dont on doit dire deux choses.

Evidemment, elle est dramatique pour le Karaté, international et surtout français. Ensuite, elle est toujours inexpliquée. Elle nous met en difficulté, nous, les dirigeants de la Fédération de Karaté, pour expliquer au clubs le refus du COJO.

Aujourd’hui, on a distribué cette ceinture à presque 1000 parlementaires (577 députés et 348 sénateurs). On va solliciter d’autres institutions. Le but est de tenir en éveil tous les responsables français des institutions élues.

Il doit bien y avoir des raisons à cette exclusion ?

Les raisons qui sont énoncées à l’heure actuelle pour dire le rejet du Karaté par le COJO, c’est d’abord : le Karaté n’est pas dans la vision des Jeux. C’est assez paradoxal de penser que 0,5% de 10 500 sportifs peuvent changer la vision que l’on donne des JO ! Ensuite, il fallait des sports jeunes. Je comptabilise 180 000 licenciés mineurs à la Fédération au 31 août dernier.

Ensuite, il faut que l’on explique que l’on n’a pas besoin d’équipement et l’on sait que Paris 2024 ne doit pas en construire. On peut faire du Karaté n’importe où. De plus, nous sommes très, très implantés dans tous les territoires. Aujourd’hui, il n’y a pas un Maire d’une commune de 5000 habitants qui ne connaisse pas les Karatékas.

Aujourd’hui, on n’a pas d’étude qui nous donne les critères adoptés pour évaluer chacun des sports, et on a encore moins de motivations pour dire que le Karaté a failli sur tel ou tel critère. Il y a quelques années, une décision devait être prise par ce qui était encore le comité de candidature : choisir la ville qui accueillerait la voile. 7 villes ont candidaté. J’étais dans le Comité de candidature, non pas comme membre, mais j’assistais le Ministre de l’époque. Je peux dire à quel point les dossiers ont été travaillé, les critères ont été évalué, les villes ont été visitées, inspectées par une commission, et l’on sait pour quelles ou quelles raisons elles n’ont pas été choisies. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas pour les sports additionnels. En tous cas, cela reste caché si cela l’est puisque l’on n’arrive pas à obtenir ces bons sangs de critères !

Sentez-vous les élus concernés et/ou mobilisés ?

On est toujours extrêmement bien accueilli partout où on va. Il y a toujours une forme d’incompréhension qui est immédiatement partagée puisque cela paraît assez insensé que l’on n’ait pas d’explication. Et cela paraît encore plus insensé que la décision a été prise à un moment qui fait que l’on va être olympique pour la 1ère fois en sachant déjà que l’on est recalé pour la 2e. C’est peut-être le sujet qui fait poser le plus de questions aux gens, qui nous disent : « comment se fait-il ? ». On vient leur expliquer que l’on n’arrive pas à comprendre, et ils nous disent : « expliquez-nous ! » ! Ce choix du temps de la décision, c’est peut-être la chose la plus inexpliquée.

L’anecdote du fait que Tony Estanguet faisait lui-même partie d’une discipline qui avait été rejetée, qu’il doit toute sa carrière à des gens qui se sont battus pendant deux ans pour réhabiliter le Canoë-Kayak en eaux vives aux JO de Sidney, Richard Fox et Hervé Madoré, évidemment, cela porte aussi !

Ce qui est surtout intéressant, c’est que finalement nos interrogations sont partagées. On pourrait se dire que nous, on est de la famille du Karaté, et que nous n’avons pas un point de vue objectif, que c’est normal que l’on ne comprenne pas. Mais pas du tout ! On est reçu par des gens, des élus qui veulent partager notre interrogation.

Qu’est-ce qui nous intéresse ? C’est justement de mobiliser un éveil constant, de tenir en haleine tout le monde sur cette situation. Pourquoi ? Parce que si l’on a un bon résultat à Tokyo, je pense que la presse s’emparera du sujet et cela portera le débat d’une autre manière.

Quelle est la part d’espoir ? On parle beaucoup d’une décision finale en décembre 2020…

Aujourd’hui, si on lit les règles qui sont dites, l’affaire est classée. Le COJO a définitivement donné ses sports au CIO, et le CIO dit qu’il est très étonné de la décision du COJO, mais qu’il ne peut pas rajouter à la proposition du COJO.

En fait, la réalité c’est que, dans l’agenda tout ce qui est dit, ce ne sont que des interprétations qui arrangent le décideur. Non, il ne fallait pas que quatre sports. Ca, c’est du pipeau. Il y aurait pu avoir six sports, ce n’était pas du tout gênant. La décision finale c’est, qu’en décembre 2020, le nombre de sportifs qui seront qualifiés correspondent au nombre qui est demandé.

Je constate d’ailleurs que le programme définitif des Jeux de Tokyo, c’était juste avant l’été. Pour Tokyo 2020, les dernières épreuves ont été décidé cette année. On peut donc très bien décider jusqu’en décembre 2020 de la position du Karaté dans le programme des Jeux de 2024. Ca, c’est sûr. Sauf si, avec beaucoup de cynisme, on continue d’expliquer que l’on ne devait choisir que quatre sports. Ce n’est marqué dans aucune règle olympique.

Il y a donc encore de l’espoir ?

Ce n’est jamais perdu, jamais perdu, jamais perdu ! Jamais, jamais, jamais.

« Belt of Hope » crée-t-il un engouement intéressant ?

Cela peut s’interpréter de plein de façons. C’est d’abord « Belt of Hope » pour le Karaté. Ce qui est intéressant, c’est que cela nous fait aussi parler du Karaté, cela nous fait rencontrer des institutions, cela nous force à bouger alors que ce n’était pas du tout au programme.

Ce qui m’intéresse, c’est quand même de voir la vivacité de certains de nos dirigeants qui va faire école, je pense. Le fait que l’on rencontre beaucoup d’élus des territoires et le fait que l’on sauvegarde l’existence de la discipline qui est beaucoup pratiquée, on la fait connaître sous un jour plutôt sympathique finalement, même si c’est dans la difficulté.

Etes-vous appuyé par le mouvement sportif ?

Le CNOSF est membre du COJO, comme la Ministre, comme la Maire de Paris. Tous ces membres du COJO nous disent que ce n’est pas de leur responsabilité, mais de celle du COJO. En disant cela, ils ne nous disent pas s’ils en ont parlé, s’ils ont traité le sujet lors d’un CA. Cela veut dire qu’ils ont sans doute accepté.

Quand la décision a été donnée, la jeune femme qui l’a annoncée a dit que cela a été comme une évidence pour eux de prendre le breakdance. Je veux bien le croire. Mais j’aurais aussi aimé qu’elle dise si, pour le Karaté, cela avait été une évidence ou pas de le rejeter !

Je ne sais pas si elle a beaucoup de longévité dans le sport, mais c’est quand même une Fédération qui compte depuis de nombreuses années, qui est passée à une feuille de papier à cigarette par deux fois, en 2005 et 2009, de rentrer dans le noyau dur des 28 sports olympiques. Donc, ce n’est certainement pas une évidence de rejeter un sport qui est assez puissant en France, très bien installé, et qui était en passe de croire que, parce que les Jeux étaient à Paris, il y avait une chance supplémentaire pour lui.

D’ailleurs, je le signale… J’étais sous-directeur des sports quand l’ambition olympique avait lancé, par le biais du CNOSF et de son président, Denis Masseglia, ses premiers appels à soutien pour Paris 2024. Deux fédérations seulement avaient versé de l’argent pour aider « Ambition olympique », le Badminton et le Karaté, qui n’était lui-même même pas olympique !