Ils sont uniques ! Jamais un père et un fils ne sont devenus tous les deux champions du monde. William, en 1992, et Jordan, en 2014, l’ont fait ! Et en famille s’il vous plaît ! Willy Thomas, terreur des années 80-90, a forgé puis coaché son fils. Ce n’était pourtant pas l’objectif et, avant d’en faire un champion, le père a voulu que son fils soit un homme responsable. Et si c’était le secret de fabrique d’un champion ?

Par Ludovic Mauchien / Photos : LM / DR


Il n’avait que quelques mois quand son père est devenu champion du monde en 1992 à Grenade. A 5 ans, il pleurait pour l’accompagner aux cours de Karaté où ils retrouvaient ses « oncles », Vic Charles, Wayne Otto, Ian Cole et consorts, les terreurs des années 80-90, multiples champions du monde en individuel et par équipe.

Jordan Thomas n’a pas tué le père en l’imitant. Il l’a magnifié. Comme « Willy » l’a fait avec lui pendant des années. En devenant champion du monde en 2014, 22 ans après son père, Jordan Thomas a simplement bonifié le travail et l’éducation de son paternel. Une complicité guidée par une confiance réciproque absolue. William désirait avant tout que son fils devienne un homme respectable et bien éduqué. Jordan a dépassé les espérances de son père en respectant à la lettre la devise familiale : « si quelqu’un te dit que tu ne peux pas y arriver, cela signifie que tu DOIS le faire ».

ÊTRE LE FILS D’UN CHAMPION DU MONDE

Jordan : « Wayne Otto, Vic Charles, Ian Cole… Mes oncles »

« En tant qu’athlète, avant mon titre mondial, j’avais beaucoup de pression. Les regards étaient braqués sur moi, du style « c’est le fils de Thomas. Voyons ce qu’il vaut »…

En tant que fils, comme c’était l’homme de la maison, je l’admirais énormément. Et les personnes avec lesquelles il s’entraînait étaient mes modèles, Wayne Otto, Vic Charles, Ian Cole, etc. Ce sont mes « oncles ». C’est la raison pour laquelle je voulais tant aller à ses cours de karaté. Je ne me souviens pas d’une époque où je ne voulais pas faire de karaté. Je voulais être impliqué. Je suis passionné depuis mon plus jeune âge. Pour moi, c’était juste une chose normale à faire.

J’ai grandi en regardant ses vidéos. Je le suppliais de me donner ses vidéos et je les emmenais dans ma chambre pour regarder les « oldies » (anciens). Je les appelle comme ça (il rit). Tous ces gars ont tracé le chemin. C’est mon histoire. Ce sont mes modèles. Au lit, le soir, je regardais les combats Angleterre vs France et je connais toute l’histoire derrière. Pour moi, c’était une énorme motivation et c’est probablement pour cela que je suis encore ici aujourd’hui. Tous les jours, je regardais une vidéo qu’il avait réalisé quand il a gagné les championnats du monde avec Highway to Hell de ACDC. Je me souviens que je pensais : « Je veux être sur le devant de la scène ». J’ai toujours voulu être comme lui ».

ÊTRE LE PAPA D’UN CHAMPION DU MONDE

William : « Son éducation était l’élément clé, pour bien l’élever »

« On avait une blague : avant qu’il ne gagne ses titres, il était le fils de Willy Thomas. Puis, quand il a remporté le titre mondial et que nous allions au contrôle antidopage, il m’a dit : « aujourd’hui, tu es le père de Jordan Thomas » (il rit). J’ai répondu : « Et je suis fier de l’être ! ».

Mais je ne l’ai jamais poussé à devenir champion. Jordan a plus que des objectifs, il a de l’intérêt. Le karaté est son centre d’intérêt. Nous avons toujours encouragé cela. Depuis sa naissance, il m’a toujours connu en tant que champion du monde vu qu’il est né l’année où j’ai gagné. Il a grandi dans cet environnement.

À la maison, nous parlions de choses normales mais, avec Jordan, le karaté était un centre d’intérêt majeur. Même jeune, il était très enthousiaste. J’avais l’habitude d’entraîner tous les soirs de la semaine et il insistait pour venir à chaque fois. Je lui disais : « s’il te plaît, reste à la maison, joue à des jeux vidéo ou à tout ce que tu veux ! ». Mais il pleurait jusqu’à ce que je lui dise : « Okay, viens ». Nous parlions donc beaucoup de Karaté.

Son éducation était l’élément clé. Nous nous sommes concentrés sur son développement à travers différentes étapes, sur son éducation, pour qu’il devienne un homme bien éduqué. À 16 ans, on l’a inscrit dans une académie de sport où il pouvait étudier et s’entraîner. De là, il est allé dans une académie de basket. Cela l’a formé en tant qu’individu et le sport lui a donné une bonne discipline pour s’entraîner, lui permettant de forger son corps. Il s’entraînait quasiment à plein temps dès l’âge de 16 ans ».

ÊTRE LE FILS DE SON COACH

Jordan : « On a réalisé un bon travail d’équipe »

« En tant qu’élève, je le considérais comme un entraîneur. Il nous a toujours permis d’être nous-mêmes. Chacun de ses combattants est différent. Nous avons tous un aspect individuel dans notre jeu, une approche différente. Il coache chacun de ses élèves en tant qu’individualité. Ce que nous voulions tous les deux, que je sois moi-même. On a réalisé un bon travail d’équipe. Il m’a guidé pour que je sois moi-même et que je me batte de la façon dont je devais me battre pour y arriver. Aujourd’hui, il est l’entraîneur principal de Hong Kong. Je serais stupide si je ne l’écoutais pas ».

ÊTRE LE COACH DE SON FILS

William : « Si quelqu’un te dit que tu ne peux pas y arriver, cela signifie que tu DOIS le faire »

« J’ai toujours mis l’accent sur la discipline, dans tous les domaines, pour être capable de se débrouiller seul en ayant confiance en soi. Peu importe si personne autour de vous ne croit que vous pouvez y arriver, que vous pouvez atteindre votre objectif, tant que vous croyez en vous, tant que vous vous préparez correctement et que vous avez un mental fort, vous pouvez y parvenir. C’est ce que mon père m’a transmis. Cela signifie quelque chose pour moi de transmettre à mon fils ce que mon père m’a dit : « si quelqu’un te dit que tu ne peux pas y arriver, cela signifie que tu DOIS le faire ».

Jordan n’a combattu pour l’Angleterre qu’à 19 ans, car la priorité était son développement : la stratégie, la technique, s’assurer que son corps soit fonctionnel. Pendant plus d’un an, il n’a pas marqué un seul point. A 21 ans, on a complètement changé de stratégie. On est passé de ne pas marquer de points à en marquer un maximum. C’est à ce moment que j’ai su qu’il pouvait être quelqu’un de spécial en sport.

En Karaté, j’étais connu pour mes déplacements, notamment en zigzag et les ruptures de rythme. C’est quelque chose que j’ai toujours apprécié faire et, peut-être que dans mon enseignement, cela ressort, parce que j’insiste dessus, pas seulement avec Jordan. Ma logique de combat est d’être capable de briser la ligne et d’avoir cette qualité particulière dans le mouvement ».

QUAND VOTRE FILS DEVIENT CHAMPION DU MONDE

William : « Plus mémorable que mes victoires »

« C’est un moment unique… ! J’étais entraîneur donc je devais être professionnel, être conscient de ma position, de mon langage corporel… C’est difficile d’être parent et entraîneur, parce que, évidemment, vos mains transpirent !

A cette époque, personne ne se serait attendu à ce que Jordan remporte les titres européen et mondial. Et je pense que sa performance dans ce championnat du monde a probablement été l’une des meilleures de tous les temps, car il a marqué quelque chose comme 37 points, et cela contre les meilleurs mondiaux. En tant que père, j’étais incroyablement fier.

A un moment, avant la sonnerie, j’ai su qu’il avait gagné. Peut-être que pendant 2’45, je suis resté concentré, constructif, j’ai parlé quand il y avait besoin, mais je n’ai pas eu à dire grand-chose car il savait ce qu’il faisait. Puis j’ai réalisé qu’il allait être champion du monde (il a gagné 8-0 à 20 secondes de la fin). C’est là que j’ai commencé à être ému. J’ai perdu ma concentration, j’ai enlevé mes lunettes. À ce stade, je suis redevenu père. Mon fils réalisait son rêve, pas le mien. Je lui ai toujours dit : « J’ai gagné mes titres. Quoiqu’il arrive, je serai heureux. Tu dois gagner le tien. C’est ton rêve, c’est ton héritage. Profites-en ».

En Karaté, cela doit être le moment dont je suis le plus fier. C’est encore plus mémorable que ma victoire.

Je crois que c’est plus qu’un rêve qui devient réalité. Pour l’Angleterre, c’était le 1er champion du monde depuis 12 ans. Réaliser ce qu’il a fait ce jour-là pour l’Angleterre, c’est juste un exploit incroyable. J’en suis très fier ».

CHAMPION DU MONDE AVEC SON PÈRE

Jordan : « Je n’aurais rien fait de tout ça sans lui »

« (Il rit) Nous avons travaillé ensemble depuis tellement de temps pour ça. Je fais du karaté depuis très jeune. Un rêve devenait réalité pour nous deux. Nous avons travaillé très dur et c’était sympa d’obtenir une récompense de ce travail. Mon père s’est investi dans tout ce que j’ai fait.

Je devais apprendre ses connaissances. Je devais croire en sa manière d’entraîner. Il a eu les connaissances et la magie pour m’amener au titre mondial. C’est ce qui m’a permis de réussir, de l’écouter et de croire en ce que je faisais, en ce qu’il m’enseignait. Je n’aurais rien fait de tout ça sans lui. Mais, pour moi, le travail n’est pas terminé. Je vais toujours de l’avant. Mes rêves sont toujours vivants. Son nom : le rêve olympique ».

UN SECRET DE FAMILLE ?

William : « Notre voyage est unique »

« Je pense que le voyage que nous avons effectué est unique. Ce n’est pas un modèle de coaching qui peut être répété car le lien entre nous est très fort, la confiance entre nous est très forte et la manière unique qui nous a permis de réaliser tout cela est difficile à appliquer.

Quand je suis parti en 1997 pour entraîner Hong Kong, ses performances ont changé. C’était une évidence parce qu’on supprimait la relation entraîneur-athlète la plus solide que vous puissiez avoir. Lorsque vous enlevez cet ingrédient clé pour un sportif de ce niveau, cela donne de moins bons résultats.

En tant que coach, je devais réaliser mes propres rêves, mes propres ambitions. C’est une autre leçon que je lui donne aujourd’hui, non pas en tant qu’entraîneur mais en tant que père : on peut être dans la cinquantaine et avoir encore des ambitions, avoir encore des rêves, toujours vouloir s’améliorer en tant qu’individu comme professionnellement.

J’espère qu’il voit ceci et voici mon message : « Tu n’es pas stoppé en plein élan, ta vie continue. Tu dois simplement te remodeler, te reconstruire ». C’est une autre page de notre voyage, pour lui comme pour moi ».

 

Jordan Thomas

Né à Luton en 1992

-67 kg

Champion d’Europe en 2014 (3e en 2016)

Champion du monde en 2016

Sa finale mondiale 2016 contre Tadissi (Hon)

https://www.youtube.com/watch?v=24WCAJhrztA

 

William Thomas

Né en 1965 à St-Albans (Ang)

-70 kg

Champion d’Europe en 1986 (2e en 1989)

Champion du monde en 1992 (2e en 1990)

« Willy » en action contre Wayne Otto

https://www.facebook.com/1500641493596488/videos/1701818090145493/?v=1701818090145493

william thomas great britain