Elle est Iranienne de naissance, elle a fui la république islamiste à 23 ans pour effectuer un doctorat de mathématiques à Paris. Interdite de Karaté à l’adolescence en Iran, elle a repris son chemin des arts en France. La Boxe française, le Wushu, le Yoga et, bien sûr, le Karaté. Amie de grands champions comme Rafaël Aghayev et Antonio Diaz, Vanecha Roudbaraki a aussi trouvé sa voie dans la peinture, qu’elle expose régulièrement dans différents pays, dont la Chine. Pour elle, l’art n’est qu’un. Destin…

Par Ludovic Mauchien / Photos : Gilles Dacquin


 

Elle est née à Rasht, dans le Nord de l’Iran, au pays des lutteurs. Surnommée la « Petite Asie » de la Perse, cette région a vu naître beaucoup d’intellectuels et d’artistes mais aussi de combattants.

Elle a commencé le Karaté en Iran, pas longtemps. La Révolution islamique l’a rattrapée à 16 ans. Elle l’a fuie à 23 ans, pour s’installer en France, pour passer un doctorat en mathématiques à l’Université d’Orsay.

Aujourd’hui, 25 ans après, Vanecha Roudbaraki est devenue artiste-peintre et, après un passage par la Boxe française, est revenue au Karaté depuis de nombreuses années. L’énergie, le mouvement, la réflexion intérieure, l’extériorisation, la maîtrise…

Comme artiste-peintre, elle se rend régulièrement en Chine pour exposer. Cette ce sera chez elle à Chambourcy, du 29 septembre au 7 octobre, qu’elle exposera sa voie de l’énergie.

Quelle est votre histoire avec le Karaté ?

J’ai toujours été attirée par les sports de combat. Mon père était le directeur général des sports et de la jeunesse d’une région du Nord de l’Iran. C’était un ancien lutteur. Dans la famille, nous avons également un champion du monde de lutte, mon cousin. A mes 12 ans, il y a eu la Révolution. Toutes les activités sportives ont été suspendues pendant deux ans.

Quand les clubs ont rouvert, ils étaient réservés aux Gardiens de la Révolution. Mon père avait perdu son travail mais il avait toujours des contacts, j’ai réussi à m’inscrire dans le club de Karaté. J’ai pris des cours jusqu’au jour où j’ai été virée car je ne convenais pas aux principes des arts martiaux en Iran. Je n’étais pas musulmane et je n’étais pas au service des Gardiens de la Révolution.

Vous avez repris lors de votre arrivée en France ?

En fait, non. Je faisais de la natation jusqu’au jour où j’ai découvert la Boxe française. Cela m’a interpelé. J’ai trouvé la BF très fin, intelligent, esthétique, beau… Tous les éléments qui me plaisaient. J’ai aussi un peu pratiqué le Kung-fu, que j’avais débuté en Iran.

Et, un jour, par hasard, je me suis retrouvée dans un club de Karaté Shito ryu. C’était très compatible avec ce que je faisais. Je n’ai jamais pensé, le jour où j’ai été virée en Iran, que je reprendrais un jour et que j’irai aussi loin, pas techniquement mais surtout mentalement, dans cette discipline. Pour moi, le karaté est indispensable car il m’aide à garder mon équilibre et à évoluer dans ma vie d’artiste-peintre et ma vie d’être humain.

Quelle relation établissez-vous entre l’art martial et l’art, la peinture en l’occurrence ?

L’histoire est la même mais elle est racontée différemment. C’est l’histoire de l’âme. Le rôle d’un artiste, de mon point de vue personnel, c’est de pouvoir transmettre l’âme sur le support. Cela peut-être la toile ou la musique… Peu importe, l’important, c’est de transmettre l’âme.

Et, dans les arts martiaux, un artiste martial doit normalement être capable de transmettre et montrer l’âme à travers son corps, son regard, la façon avec laquelle il se présente… Un artiste martial avant tout, c’est quelqu’un qui a la connaissance de l’énergie qu’il a en lui, de la maîtrise de cette énergie, et de sa démonstration. Car il faut que cela soit beau et agréable vis-à-vis de la personne qui regarde, pour que celle-ci capte cette énergie.

C’est la même histoire. L’énergie est la seule chose qui donne du bon sens au mauvais sens. En fait, un artiste lance l’énergie dans son entourage mais il ne sait pas où elle va. Elle va vers l’infini. Après, des gens la captent à travers une toile ou un artiste martial. Maintenant, c’est une question de comment gérer, connaître cette énergie que l’on a en soi.

Est-ce le rôle de l’art martial ?

Je vais souvent en Chine depuis 10-12 ans et j’en profite pour faire du Wushu. Ce qui est important, ce sont les arts martiaux. La façade, le cadre, c’est le moins important. Chaque individu peut trouver un art martial plus adapté à son physique, à sa façon d’être… Moi, c’est le Karaté Shotokan qui m’interpelle le plus.

Mais je parle de la Chine car c’est très important. C’est un pays qui m’a aidée à me retrouver, à mieux me connaître, à mieux trouver qui je suis. C’est là que j’ai découvert jusqu’à quel point est important cette maîtrise de soi, cette capacité à pouvoir, martialement, la renforcer, l’encadrer. Cela peut devenir beaucoup mieux, beaucoup plus joli, beaucoup plus libre. Cela m’a aidé pour pouvoir me relâcher sur la toile. C’était réciproque. Plus je me développais dans les arts martiaux, mieux j’étais dans ma peinture. Mieux j’étais dans ma peinture, plus j’étais à l’aise dans les arts martiaux.

Qu’as-tu envie d’exprimer dans une peinture ?

L’éternité de l’âme. Ma mission est de transmettre la vie, l’énergie à travers ma peinture. Mais elle peut être captée et transmise de différentes façons. Des gens disent qu’ils n’ont pas eu de chance dans la vie… On a autant de chance que de malchance. Mathématiquement, la probabilité est égale. On a tous la chance. Il faut savoir la capter. Certains savent la saisir au bon moment, d’autres non. L’énergie, c’est pareil.

Il faut être bien avec soi, penser que l’on est toujours entouré de la chance, de l’énergie, et la capter. C’est un pendule. Je peux voir que des choses négatives et être déprimée. Je peux voir l’arbre et m’extasier. A travers une petite chose, je peux voyager, je peux aller loin. Il faut faire l’unité avec son corps.

Antonio DIAZ

Antonio Diaz, dessin de Vanecha Roudbaraki.

 

« RAFAEL AGHAYEV EST UN CREATEUR, ANTONIO DIAZ UN MONSIEUR »

Que cela signifie-t-il « faire l’unité avec son corps » ?

Ne pas laisser son corps subir bêtement les décisions de l’esprit. Exemple : quand je fais du Karaté, mon but n’est pas de détruire ou de frapper fort dans un sac, dans mon partenaire… le but est d’abord d’être unie avec moi-même et toute l’énergie qui m’entoure, des doigts de pied à la tête, d’être conscient de tout, d’avoir la gestion de tout.

Quand je donne un coup de poing, Oï Tsuki Jodan par exemple, je dois avoir le contrôle de tous mes organes. Je deviens unie. C’est comme ça que l’on devient très fort. On fait attention à tous nos éléments, nos organes, nos cellules, nos membres. Il faut tout calculer. Tout est important. Tu ne peux pas ignorer ton petit doigt. Il est avec toi. Il t’aide pour réussir, pour apprendre, pour devenir un. Cette unité, c’est de pouvoir lier tout ce qui est interne et externe. J’ai très souvent entendu qu’on faisait le distinguo. Non ! Tout est ensemble. Personnellement, je ne vois pas la différence.

Vous connaissez plusieurs champions comme Rafaël Aghayev. Comment le décririez-vous ?

Rafaël est un artiste, un créateur. Quand je regarde son karaté, ses combats, je vois une maîtrise de soi. C’est de l’art ! Il dégage l’âme dans son entourage. Cela fait une vibration. Je suis très sensible à sa marque. Derrière tout ça, il doit y avoir quelqu’un d’exceptionnel. On n’a jamais à faire à un homme qui est dans les normes. On ne demande pas à un homme de cette qualité d’être dans la norme.

Et Antonio Diaz ?

Antonio est un ami. C’est un Monsieur, un homme avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de qualités humaines. Il est très fin. Il capte tout ce qui est artistique. Culturellement, il est très fort. Il adore voyager, il adore découvrir, il est très ouvert. Il représente un autre aspect des arts martiaux. On ne peut jamais comparer Aghayev à Diaz. Ce qu’ils distribuent dans la société est différent.

Un combattant comme Rafaël, c’est quelqu’un qui va jusqu’au bout, il sait ce qu’il veut : c’est le combat. Il le fait. Ce que je peux apprendre à travers lui est très différent de ce qu’Antonio peut m’apprendre. La société a besoin des deux, et d’autres. Des gens comme Antonio peuvent aller très, très loin dans leur vie. C’est très bien d’être beau, riche et fort, mais on devient éternel quand on commence à intérioriser la beauté, la force et la richesse. Je pense qu’Antonio Diaz est sur cette voie.

Mais il n’y a pas qu’eux. J’ai pu rencontrer d’anciens champions du monde. J’ai beaucoup appris à travers ces combattants, ces entraîneurs. ils m’ont permis d’évoluer dans mon karaté. Je ne vais pas nommer tout le monde. J’ai beaucoup de chance d’être en France. Je serais en Iran, je n’aurais probablement pas eu cette possibilité de pouvoir rencontrer autant de personnages mondialement connus.

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