L’un des derniers Grands du Budo s’en est allé mardi 14 avril au soir. Jan Kallenbach, 78 ans, dont 65 consacrés aux Arts Martiaux, a quitté ses élèves dont il était si proche, pour rejoindre les Grands Anciens, dont ses maîtres Jon Bluming, Mas Oyama et Kenichi Sawaï.

Peu d’Occidentaux ont reçu la confiance des Senseï japonais, peu ont gagné leur respect, très peu ont eu accès à la quintessence du savoir martial. Jan Kallenbach était de ceux-là ! Haut gradé dans plusieurs arts martiaux, il était devenu la référence du Taikiken, une pratique développant « une dimension extra-martiale qui dépasse la technique », dixit Julien Porterie, son élève depuis plus de 20 ans, qui rend hommage à « Maître Kallenbach ».

Par Ludovic Mauchien / Photos : Taikiken France


Il n’était pas le plus médiatique. Il ne cherchait d’ailleurs pas à l’être. Pourtant, son nom et sa réputation ont traversé le temps, empreints de respect et de bienveillance. De puissance, voire d’invulnérabilité aussi. Avec Jan Kallenbach, c’est un roc, c’est un cap, c’est un monument du Budo qui s’en est allé mardi 14 avril, d’une maladie non identifiée qui le rongeait depuis quelques années.

« Nous avons tous une peine énorme à la suite de l’annonce de son décès. On a beaucoup de mal à réaliser qu’il est parti parce qu’il dégageait… Il avait une assise et un centrage qui donnait l’impression qu’il était invulnérable et présent pour l’éternité », témoigne Julien Porterie, l’élève de Jacques Legrée à l’ACBB et, par-là même, élève de Jan Kallenbach. « Il avait un physique très imposant, comme beaucoup de Néerlandais. Mais là où il avait quelque chose d’assez saisissant, c’était ce contraste entre ce physique et sa finesse, à la fois du mouvement, du bougé, et sa finesse d’esprit, son tact, sa délicatesse et son attention bienveillante. C’était une personne d’une bienveillance incroyable. Il avait une aura… On était bien à ses côtés. On avait envie d’être à ses côtés parce que l’on était bien (sourire) ».

Jan Kallenbach avait atteint la quintessence de l’art : la bienveillance, étape ultime de l’Art Martial. Il était l’incarnation du Yin et du Yang, l’association du dur et du doux tant dans le mouvement que dans l’attitude. Le dur correspond évidemment plutôt à sa jeunesse. Né en 1943 à Amsterdam, il commence son chemin martial en 1956 par le Judo et le Jiu Jitsu. En 1958, il rencontre Jon Bluming avec lequel il va continuer la pratique du Judo mais aussi découvrir le Karaté Kyokushinkaï. Il a 15 ans. Neuf ans plus tard, il sera instructeur de Judo et de Karaté dans l’école Bluming.

SES SENSEÏ ? BLUMING, DRAEGER, OYAMA, SAWAÏ !

En 1967, sur l'invitation de Kurosaki, il décide de partir au Japon où il restera deux ans. Il pratique assidûment le Kyokushinkaï avec Mas Oyama, le fondateur du style, s’entraîne avec Yoshimichi Sato et Hatsuo Royama, grands pionniers du Kyokushin… C’est d’ailleurs ce dernier qui lui fait découvrir le Taikiken. Jan Kallenbach voulait pratiquer quelque chose de plus profond encore. Royama lui présente le légendaire Kenichi Sawaï, maître de Tai Ki Kempo et fondateur du Taikiken. Le début d’une longue histoire. Parallèlement, il rencontre Donn Draeger himself, avec lequel il va poursuivre la pratique du Judo et qui va lui ouvrir la voie à différents Budo. Jan Kallenbach pratique ainsi auprès d’illustres maîtres : le Iaïdo avec Kuroda, le Jodo avec Shimizu, la Katori Shinto-Ryu avec Otake et le Yi Quan, source du Tai Ki Ken.

Côté compétition, il n’est pas en reste non plus. En Kyokushin, Royama disait de lui qu’il « avait une force qui dépassait les règles du jeu. Si je dois choisir un Karatéka étranger quelque soit l’époque, Kallenbach sera le n°1 ». Terutomo Yamazaki, autre fameux combattant, abondait : « C’est le 1er adversaire qui m’a fait sentir la force physique. Je me suis toujours demandé comment je pouvais combattre face à un tel personnage ». Jan Kallenbach s’illustre aussi dans la version WKF, en Europe. Il est même la terreur des tatamis. En 1974, il devientchampion d’Europe des lourds, après avoir été 2e en 1973.

Royama Group with Kallenbach small

Jan Kallenbach (à .) avec ses frères d'armes japonais du Kyokushin, dont Royama.

 

« C’ÉTAIT UN BUDOKA COMPLET, POUR LEQUEL L’HUMAIN COMPTAIT AUTANT QUE LE PRATIQUANT »

« C’était un Budoka complet, pour lequel l’humain comptait autant que le pratiquant », poursuit Julien Porterie. « Il était une encyclopédie vivante des Arts Martiaux par son parcours, qui ne se résume pas au Judo, au Kyokushin et au Taikiken. Il a embrassé d’autres disciplines du Budo, il a fait des rencontres de (grands) maîtres, comme Donn Draeger, qui était l’un de ses modèles.

J’ai découvert sa dimension lorsque j’ai eu la chance de l’accompagner au Japon en 2004, avec Jacques Legrée. On est parti plusieurs semaines. On a eu la chance de rencontrer tous les Senseï, de visiter tous les dojos du Japon, avec ses homologues, les Senseï de la 1ère génération d’élèves de maître Sawaï : Sato Senseï, Iwama Senseï, Royama Senseï. A chaque fois, c’était un accueil assez incroyable, au point d’être hébergé par Sato Senseï, ce qui est totalement impensable au Japon. Les Japonais ne t’accueillent pas chez eux. Mais Maître Kallenbach avait cette capacité à tisser ces liens, à les entretenir et à les diffuser avec beaucoup de générosité ».

« IL AVAIT UNE CONNAISSANCE TRÈS PRÉCISE ET ATTACHANTE DE TOUS SES ÉLÈVES »

Au fil des années, il s’est concentré sur le Tai Ki Ken et le Yi Quan, qu’il enseignait à un groupe d’élèves limité, le Tai Chi Chuan et le Judo. Loin d’être le « Grand Maître » intouchable, Jan Kallenbach était le Senseï abordable. « C’était quelqu’un de très chaleureux, qui était très curieux et intéressé des personnes qu’il côtoyait, de ses élèves », raconte Julien Porterie. « Par exemple, la dernière fois qu’il est venu à Paris pour un stage, il est venu dans mon cabinet. Pour lui, c’était important de voir le quotidien d’un de ses élèves, le cadre dans lequel il évolue. Il pouvait s’asseoir auprès de n’importe quel élève, particulièrement des nouveaux, pour les connaître et savoir quel était leur histoire, leur passé martial et extra-martial.

Il avait une connaissance très précise et attachante de tous. Il était très attaché à cette notion de famille pour le Taikiken, où chacun se connaît et porte attention et vigilance à l’autre. C’est quelque chose qui aura marqué tout le monde ». Un grand homme et un immense Budoka vient de s’éteindre. Mais pas sa flamme.

 Kallenbach Legrée ret

Jacques Legrée et Jan Kallenbach, deux parcours indissociables.