Ils étaient 160, il n’en resta qu’un : William Geoffray. Devant une assemblée de mille Dans, le Français a remporté, en Kata, le 1er « Okinawa Karate International Tournament », l’équivalent des Mondiaux de Karaté traditionnels. Formé au Genseï Ryu, il était le représentant français aux Championnats du monde WKF à Linz en 2016. Parallèlement, depuis 2010, il se formait à l’école Kyudokan au travers de l’enseignement de Patrick Rault. Ecole qu’il a dignement représentée à Naha devant une assemblée de 9e et 10e Dan. Il raconte.

Par Ludovic Mauchien / Photos : Merci à Shureido


Il est 3e Dan, a 27 ans, est Conseiller Technique National à la FFKaraté dans le civil, a été champion d’Europe U17 en 2009, double champion de France en 2010 et 2011, 3e des Championnats du monde par équipe en 2014. En 2016, il est battu au 1er tour des Mondiaux par le Vénézuélien Antonio Diaz, le double champion du monde. Ce fut son ultime apparition en équipe de France.

Depuis 2010, en parallèle, ou plutôt en complément, William Geoffray suit les cours de Patrick Rault, 8e Dan Okinawa (7e Dan FFK), élève d’Higa Senseï, 10e Dan, le Grand Maître de l’école Kyudokan. Début août, le Français a eu l’honneur de représenter l’école à l’occasion du 1er « Okinawa Karate International Tournament », le nouvel événement planétaire du Karaté traditionnel, qui vient en remplacement des « Mondiaux » précédemment organisés tous les 6 ans.

La dernière édition correspond au premier séjour de William Geoffray à Okinawa. En 2012, en compagnie de Patrick Rault, il s’est lancé un défi : être présent 6 ans plus tard pour représenter l’école Kyudokan. En 2018, William Geoffray a remporté le tournoi ! Un exploit ! Il nous raconte Okinawa…

A quoi ressemble l’ambiance du Grand Tournoi international de Kata d’Okinawa ?

Le plus impressionnant et le plus stressant, hormis les spectateurs qui sont quand même nombreux, c’est de passer devant tous les grands maîtres okinawaïens, tous les membres du Shorin Ryu, les représentants de chaque école, les 10e Dan, les 9e Dan, etc, des visages que je connais depuis tout petit, que je regarde en vidéo dans des reportages (il rit). Et là, je me retrouve aligné devant tout le monde !… Cela met un peu la pression quand même (il rit à nouveau).

« LE PLUS STRESSANT… PASSER DEVANT TOUS LES GRANDS MAITRES »

Est-ce très différent d’un championnat WKF ?

Même si les critères sur le papier ressemblent beaucoup aux compétitions WKF, l’accent est mis sur des spécificités, sur des détails. Le rythme doit être plus coulé, moins stoppé, moins arrêté. Par exemple, pour grossir un peu le trait, dans les compétitions habituelles, le but d’une technique est d’aller le plus vite et le plus fort entre le point de départ, le point A, et le point final, le point B. On ne regarde pas forcément ce qui se passe techniquement entre les deux points.

Alors que dans la partie traditionnelle, tout est observé : la trajectoire, la manière d’amener la technique… Toute la partie émotionnelle doit aussi être ressentie. Ce sont des détails que le public, qui n’est pas novice, connaît forcément. Ce sont vraiment des connaisseurs du Kata. Ils connaissent le moindre détail de ce que je vais faire.

Cela doit procurer une émotion particulière de s’exprimer devant une telle assemblée…

Complètement ! Surtout que c’est un rêve d’enfant qui se réalise. Surtout, aussi, que j’étais soutenu par mon professeur, Patrick Rault, qui a tout vécu avec moi. Il me racontait qu’il devait rester derrière assis en Seiza. Il saluait en même temps que moi, alors qu’il n’était pas obligé de le faire, pour rester en symbiose avec moi. J’ai l’impression qu’il ressentait tout ce que je ressentais. Du coup, cela faisait le lien. Je me sentais poussé par quelqu’un qui connaît Okinawa par cœur. Il y a vécu. Il connaît tous les codes.

Au-delà de la performance du Kata, arriver à gagner une compétition comme celle-ci se joue aussi sur le fait d’accepter la culture des grands maîtres, c’est-à-dire montrer le respect que l’on a envers leur culture, la compréhension qu’on peut avoir de leur manière de travailler… Le comportement peut être pris en compte. Je m’étais fixé l’objectif non seulement d’avoir une attitude irréprochable mais d’être en empathie avec la culture okinawaïenne.

 « JE ME SUIS EXCUSE DE NE PAS AVOIR MONTRE LE KATA COMME IL AURAIT DU »

Comment la compétition est-elle organisée ?

Cela s’est déroulé en plusieurs phases. Au printemps, il y avait un tournoi préliminaire pour les Okinawaïens, une phase de sélection où seuls les premiers étaient qualifiés pour le tournoi.

Pour les non-Okinawaïens, la compétition durait 4 jours d’affilée. On était entre 130 et 160, Japonais compris. Les tours préliminaires de sélection se déroulaient en deux manches les 1er et 2e jours. La première était à la note, c’est-à-dire que tout le monde passait, les 8 meilleurs étant qualifiés. Pour la deuxième, on passait à un tournoi éliminatoire plus classique, en duel. Le tournoi principal commençait le 3e jour avec les qualifications pour sortir les demi-finalistes. Et le dernier jour, se déroulaient la ½ finale et la finale. En tout, j’ai fait 5 tours. Je ne m’attendais pas à ce que cela dure aussi longtemps.

Quel tour t’a le plus marqué ?

Ma ½ finale face à l’Okinawaïen, dans le sens où c’était le tour le plus stressant. J’étais contre un adversaire qui était à domicile. Le public devait le connaître, les arbitres forcément aussi. On dit souvent qu’Okinawa est un petit village. Du coup, je ne savais pas forcément comment cela allait balancer dans le jugement, comment cela allait être perçu.

Quant à la finale contre un Américain, je suis à la fois très content de l’avoir gagnée et, en même temps, un peu déçu parce que je n’ai pas travaillé comme je le voulais. J’ai fait une petite erreur. Cela m’a frustré. En sortant, je me suis excusé auprès de mon professeur de ne pas avoir montré le Kata comme il aurait dû être montré (il rit). Il y avait un petit goût de déception, alors que la ½ finale, c’est une victoire que je suis allée chercher, à l’extérieur.

Que ressent-on ? De la fierté ? De la joie ? Quel sentiment prédomine-t-il ?

C’est un mélange de tout ! (il rit). Je sais que l’on peut dire cela facilement mais, sincèrement, je ressens de la gratitude. Comparé à d’autres compétitions où la démarche est plus individuelle et presque égoïste, là, c’est l’inverse. Ce sont les gens qui m’ont aidé qui voulaient que je fasse cette compétition, mon professeur, ma compagne qui est venue à Okinawa m’encourager, à toutes les personnes qui m’ont reboosté parce qu’après avoir arrêté la compétition, c’est difficile de se remettre à l’entraînement et de se remobiliser. Mon entourage m’a bien aidé. C’était une démarche collective. Quand j’ai gagné, j’ai tout de suite pensé à Patrick Rault. Pour lui, j’imagine que cette victoire symbolise beaucoup de choses.

« LE KYUDOKAN EST UNE MANIERE TOTALEMENT DIFFERENTE DE TRAVAILLER »

Comment un Français estampillé compétiteur sportif se retrouve-t-il à disputer « The Okinawa Karate International Tournament » ?

(Il rit). A la base, je suis Genseï ryu. J’ai découvert le Karaté via ce style dans le club de mon petit village. Je suis de la campagne ! (il rit à nouveau). Mais, en compétition, vu que les Katas doivent être dans les quatre styles reconnus par la WKF, mon premier professeur, Chouny Ao, connaissait également bien le Shito Ryu. J’ai donc eu cette approche pour travailler des Katas spécifiques à la compétition.

En parallèle, depuis 2010, je m’entraînais en traditionnel. J’ai découvert le Kyudokan lors d’un stage de Patrick Rault. J’ai tout de suite accroché. Quand, en 2012, je suis venu pour la première fois à Okinawa, on s’est lancé le défi d’être présent en 2018. Je me préparais depuis 5 ans pour ce tournoi, même si ce n’était pas forcément une préparation spécifique à la compétition, mais c’est une nouvelle école, une manière complètement différente de travailler. Il a fallu reprendre beaucoup de travail de base, de travail de détails.

Quels Katas présentais-tu en WKF ?

Généralement, Suparinpei, un Kata issu du Goju Ryu. J’aimais bien aussi Anan (ou Annan), qui vient du Ruei Ryu. Je trouvais intéressant que, dans mon programme, les Katas que je préférais faire étaient ceux qui avaient le lien le plus fort avec le Karaté d’Okinawa.

Quels Katas as-tu présenté à Okinawa ?

Des Katas typiques du style Kyudokan, notamment Sochin, que j’ai effectué en finale. C’est le même nom que le Kata Shotokan mais le diagramme du Kata n’a rien à voir. Il ne se pratique que dans cette école, même à Okinawa. J’ai aussi pratiqué Jion, qui est la base commune au Shotokan, et Jitte.

 

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William Geoffray avec Higa Senseï, 10e Dan et Grand Maître de l'école Kyudokan, et Patrick Rault, 8e Dan, son professeur.

 

L'école Kyudokan a obtenu les meilleurs résultats de la compétition. Outre William Geoffray, plusieurs de ses représentants ont brillé. Chez les Juniors, Tomoki Agarito se classe 2e. Tetsuya Midorikawa a fini 3e chez les +40 ans. Chez les femmes +40 ans, Arisa Yara finit 2e, Mika Kinjo se classe 3e et Heike Operach (Kyudōkan Allemagne) 4e. Enfin, chez les +60 ans, Ritsuko Higa termine 3e.