Il a non seulement participé à tous les Championnats du monde mais il a aussi occupé tous les postes à la fédération. En 2001, Francis Didier est élu président de la FFKaraté. Plus qu’une consécration, pour lui, c’est une mission qui commence.

Avec sa vision, il va s’atteler à développer une fédération « à bout de souffle », moderniser le Karaté et le rapprocher de l’Olympisme, notamment grâce aux expériences menées à Paris. Un Olympisme qu’il voit encore et encore s’échapper. Il nous raconte cela dans ce nouvel opus de son histoire.

Sa méthode, sa vision du bénévolat, son sens entrepreneurial, être président, Bercy 2012… C’est l’épisode 4 : 2001-2012, de la Tombe-Issoire à Bercy.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


Ÿ 2001-2005 : « Lors de mon 1er mandat, il a fallu que j’apprenne »

  • § La raison : « la porte de la modernité n’avançait pas »

« Je me suis lancé dans cette aventure parce qu’il y avait beaucoup de présidents de ligue qui voulaient changer le fonctionnement de la fédération et se mettre au diapason de ce que le Ministère des sports nous demandait. C’était la raison pour laquelle je me suis présenté à la présidence en 2001. Je voyais que la porte de la modernité n’avançait pas.

Cette fédération était à bout de souffle. Elle a grandi de manière hors normes, par un gros coup de cul : les films de Bruce Lee. Cela a été une chance pour le Karaté mais aussi une malchance car il a grandi trop vite ! Il a manqué de place pour la réflexion ».

  • § L’apprentissage : « Il faut que tu te mettes à l’écoute des bénévoles »

« Lors de mon 1er mandat, il a fallu que j’apprenne. En prenant le poste, je croyais que c’était assez facile. Je pensais faire comme avec les équipes de France. J’invente une méthode, je vais du point A au point Z et on marche à 300 km/h. En fait, cela ne fonctionne absolument pas comme ça ! (il rit).

Une image : le train va à 300 km/h mais pas de A à Z, de A à B. Et à B, il faut que tu t’arrêtes. Tout le monde descend, pipi, sandwich… Ils remontent dans le train. Tu vérifies bien qu’ils soient tous remontés. Et après, tu repars à 300 km/h de B à C, et ainsi de suite.

En fait, c’est parce que tu travailles avec un secteur déconcentré de bénévoles, qui ont leur vie, leurs occupations… Le Karaté, c’est en plus. Quand tu es DTN, tu es professionnel, quand tu es président, tu es professionnel, tu ne fais que ça. Mais eux non. Il faut que tu te mettes à leur écoute, t’adapter à leur façon de vivre et à la vitesse à laquelle ils vont. Tu dois construire ton programme à leur vitesse, pas à la tienne. En fait, il faut être pédagogue et répétitif. Il faut se déplacer partout et répéter. C’est normal !

Quand, par exemple, je suis dans des assises, une assemblée générale, une ligue, une région, un département… Ceux qui écoutent ne sont pas comme toi, qui est professionnel. Toi, tu peux te concentrer pendant 3, 4, 5, 10 heures. Tu fais ton métier. Mais eux, à un moment, ils s’échappent. C’est normal ! Ils se concentrent 1h et paf, à la maison il y a ça, et hop, il part ! Il revient 10 minutes après mais il a perdu un fil. Et tout est parsemé de vide comme ça. En répétant, on comble les vides. Il faut bien appréhender ça ».

  • § L’évolution : « Ne pas copier la Fédération mondiale »

« Mon 1er mandat, cela a été d’apprendre, mais pas seulement. Il y a eu plein de changements. J’ai demandé aux présidents de ligue de changer les statuts. Je demande à 30 personnes de voter un changement de statut où ils vont, quelque part, être un peu lésés. Il faut arriver à convaincre ! Pour ce faire, il faut leur montrer un avenir. Petit à petit, on est venu à la norme. On est devenu une grande fédé.

Après, il fallait ouvrir sur les disciplines associées, même sur les styles à l’intérieur, parce que la fédération de Karaté, c’est 32 styles. Il ne faut surtout pas copier la Fédération mondiale ! Elle fonctionne avec 4 styles. Le Kyokushinkaï n’existe même pas. Nous, c’est l’inverse.

Devenir olympique, c’est bien, mais c’est un éclairage. Il ne faut surtout pas que cela devienne une fédération que d’un sport olympique. C’est la partie haute de l’iceberg mais, le bas, c’est énorme ! ».

  • § L’international : « Faire changer les mentalités !!! »

« Toutes les expériences sur les protections, les règlements… se sont faites à Paris, dès l’open 1996. Pour se rapprocher des canons du CIO, il fallait changer. Il y a eu d’abord les protections de main. Pour les protections de pied, il a fallu ramer… C’est arrivé deux ans après. J’ai même commencé avec les protections blanches pour ne pas les froisser. Cela prend un certain temps… Je ne critique pas. Il y a des raisons (voir épisode 3).

Et, aussi, il ne faut pas oublier que les arbitres, dans leurs pays, sont des experts. Tu es quand même sous une gouvernance de maître à disciple. Celui qui arbitre, c’est le maître. Donc, pour changer les règles d’arbitrage et amener au raisonnement qui est que les juges ne font que les points et l’arbitre du centre ne fait que les civilités, il fallait « tuer » cet arbitre du centre, pour lui enlever toutes ses prérogatives.

J’étais dans la politique internationale dans ce sens-là : faire changer les mentalités !!! Pour nous, cela été beaucoup plus facile après de se présenter face au CIO avec un programme moderne ».

 

Ÿ 2005 : « Lobbying, vote aux 2/3… Impossible à gagner ! »

1er échec à la candidature olympique

« On est à Singapour. Il y a une 1ère session. Le Karaté est accepté dans le programme olympique. Mais, pour qu’il soit effectif, l’après-midi, lors d’une autre session, les Fédérations internationales doivent voter pour l’incorporation de la WKF dans le corps des Fédérations internationales, pour devenir la 28e. Comme le softball/baseball était sorti, il y avait une place à prendre. Mais on perd le vote. Un vote qui est aux 2/3 ! C’était impossible à gagner ! S’il était à la majorité, oui ! D’ailleurs, toutes les fédérations non olympiques ont ensuite effectué un recours car ce n’était pas normal.

Et il ne faut pas oublier, qu’entre le vote du matin et celui de l’après-midi, un lobbying se fait, le lobbying des fédérations en place. Pourquoi ? Parce qu’elles ne veulent pas que qui que ce soient prennent une part du gâteau.

On avait déjà perdu le vote pour Londres. J’ai déjà vu la défaite. Si la France était passée, un lobbying se serait mis en place. Mais on est rentré dans la session sans poussée arrière…

Après le vote, je me suis dit que c’était très, très dur de rentrer. C’est comme le Vatican, il faut attendre la couleur de la fumée. Et il n’y a aucune discussion possible. Je me suis dit que je n’allais plus trop dépenser d’énergie pour cela et que j’allais plutôt moderniser le Karaté de compétition. Je me suis plus concentré là-dessus ensuite ».

 

Ÿ 2009 : « A une voie près, on était dans le wagon »

2e échec à la candidature olympique

« En 2009, les règles ont changé. Ce n’est plus la session qui vote mais les 15 de l’exécutif, et à la majorité. L’Assemblée générale ne fait qu’entériner. A Copenhague, il y a eu un lobbying extraordinaire de Lapasset. Quand tu es président de Fédération internationale, Français et que tu fais rentrer ton Rugby à 7… Chapeau bas ! Le gars est bon !

De toute façon, le CIO a dit qu’ils faisaient rentrer un sport populaire et un sport de communication. Ils font rentrer un sport qui apporte de la finance, le golf, et un sport populaire, le rugby à 7. Sport populaire, je veux bien mais… On est quand même juste derrière. A une voie près, on était dans le wagon ».

 

Ÿ 2012 : « Pour l’organisation, il faut avoir une vision »

Bercy est rempli. Ce sont les plus beaux Mondiaux de l’histoire

  • § La méthode : « être capable de rassembler »

« J’ai toujours été organisateur ! Dans les clubs, j’étais l’ouvrier-travailleur et l’organisateur. Ce sont deux choses différentes. Dans le dojo, on pratique, on fait de la technique, et après, on est dans le club. Je sors du tatami, je deviens un autre homme. Je suis éducateur, meneur, organisateur… Je fais vivre le club.

Pour le Championnat du monde 2012, il s’agit avant tout de construire les équipes. Organiser cet événement, c’est être capable de rassembler. Il faut motiver tout le monde, les comités départementaux, les ligues… qui sont finalement venus avec des bus entiers.

A la fédé, pendant un an et demi, on s’est attelé à recruter les bénévoles, 250 en tout. Ensuite, on passe à l’apprentissage des travaux, parce qu’il faut les organiser. A l’époque, à Bercy, on construisait la cafétéria en bois des bénévoles sur le parking !

On est entré dans une logique de répétition. Il y avait une réunion à la fédé tous les mois puis tous les 15 jours, toutes les semaines, et enfin 2 fois par semaine.

Pour l’organisation, il faut avoir une vision. C’est comme si on était tout en haut sur un porte-avion, et il faut savoir tout ce qui se passe dans la cale, aux chargements… C’est un travail d’organisation et de détails.

J’ai aussi bénéficié du fait de voyager dans tous les autres sports, du savoir d’autres fédés. Par exemple, le Judo avait organisé les Mondiaux un an avant nous à Bercy. Ils m’ont dit : « Francis, ne fais pas comme nous. On a pris des hôtels partout. On a galéré dans les transports ». J’avais réservé deux ans à l’avance tous les hôtels autour de Bercy. Toutes les nations y allaient à pied.

Il fallait être entrepreneur, avancer l’argent. Les hôtels ne te disent souvent pas oui. Tu dois mettre l’argent sur la table. J’avais pris le pari que les nations allaient prendre ces hôtels, puisque c’est nous qui revendions les places ».

  • § Le discours de la méthode : « Quand j’ai acheté à Montrouge… »

« Je fais exactement la même chose pour l’Open de Paris, qui est plein. Au début, tu y vas avec ton bleu. J’y vais toujours avec le bleu mais, maintenant, c’est carré. Par exemple, on a 1000m2 dans le 94 pour stocker notre propre matériel, avec transporteur. On a du matériel au sous-sol de la fédération. On a un local derrière de 150 m2 et un autre de 300 m2. Pour l’Open de Paris, il faut un hangar de 300 m2 en matériel.

On a besoin de cet espace si on organise des compétitions. Si on ne fait rien… Aujourd’hui, on a 4 compétitions par week-end. Les Wushu sont à Carpentier, les Vietnamiens à Poissy, le Karaté à l’INJ, un autre Karaté à Villebon… On peut aussi avoir 3 camions qui partent au Karaté contact à Nîmes, ou à une autre compèt à Toulouse. Cela n’arrête pas.

« Tout le monde voit la fédé aujourd’hui mais, quand j’ai acheté à Montrouge pour faire les travaux, j’entendais : « il voit un peu grand… ». Ils se faisaient du souci en fin de compte. Maintenant, quand on regarde des années en arrière, tout ce que l’on a racheté et tout ce que l’on a agrandi !

C’est un rouleau compresseur qui avance toujours à la même vitesse mais qui ne s’arrête jamais. Si tu t’arrêtes, il continue d’avancer. Ca, c’est aussi un monde qui a changé. Ce n’est plus le même travail ».

  • § 7 ans après : « Conforme au plan que je m’étais fait dans la tête »

« Cela m’a fait plaisir de le faire. Une fois que tu as fait ça, tu n’as peur de rien ! C’est énorme ! L’organisation est un monde d’entrepreneur. Je suis content du travail qui a été exécuté. C’était conforme au plan que je m’étais fait dans la tête.

Il faut toujours être satisfait du travail accompli. Je parle de ça en menuiserie aussi. J’ai été élevé là-dedans, par mon père, mon grand-père… Le travail doit être parfait quand il est fini.

Mais si le travail n’est pas parfait, cela veut dire que tu n’es pas capable de casser avant. Tu commences… Ca part mal… Il faut tout effacer, tout recommencer depuis le début. Il ne faut pas pétasser. Si tu mets des rustines à chaque fois, le bateau ne fonctionne pas.

Cela ne concerne pas que le championnat du monde à Bercy, c’est tout le temps, tous les jours et tous les week-ends, qu’il faut que le travail accompli soit bien fait. Pour que tes équipes soient formées à ça, il faut que tu sois devant. Etre président, c’est un métier d’entrepreneur. Mais bon, tu es bouffé par la machine ! C’est le risque ».

A SUIVRE

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