Il était le « Little Big Man » du Bushido français. Il fut membre de l’équipe de France de Karaté dans les années 70-80, puis champion de Muay thaï dans les années 80 avant d’être un entraîneur en vogue du MMA français. Jean-Marie Merchet a toujours avancé dans la vie en se lançant des défis. Le « grand petit homme » nous a quittés mardi à 68 ans. Hommage avec cette interview réalisée en 2011. RIP Jean-Marie.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


 

Quand on fait 1,60 m, on dit qu’il vaut mieux avoir la colère discrète. On dit aussi qu’un mec de 120 kg aura toujours raison face à un autre de moindre facture. Pas toujours… Avec Jean-Marie Merchet, il convient même d’oublier ces lieux communs.

Pendant plus de 50 ans, du haut de son 1,60 m, « JMM » a défié les lois de la physique. Son moteur ? « Exister dans un monde de grands », rigole-t-il, attablé chez un traiteur asiatique, à quelques encablures de « Haute Tension », son club à Vitry-sur-Seine (94). Son essence ? Les défis. Le premier a été de s’imposer en Karaté, à l’époque de la catégorie de poids unique, puis en Muay thaï. Il fut champion de France dans les deux (1981 en Karaté, 1985 et 86 en Muay thaï) en portant à son paroxysme l’art de « l’absorption/contre-temps ».

Enseignant depuis 1976, Jean-Marie Merchet donnait toujours des cours de Karaté, mais seulement aux enfants. Depuis 1983, il s’adonnait au Muay thaï et, depuis le milieu des années 90, il avait ajouté le MMA dans son escarcelle.

Son parcours, il l’a dessiné aux forceps, par goût et par obligation, par caractère. Personnage haut en couleur, la démarche altière, le port haut, le corps droit, Jean-Marie Merchet manie avec verve le Yin et le Yang. Bref, l’homme possède un caractère plutôt bien trempé, aux convictions bien arrêtées.

Sans jamais renier ses origines, bien au contraire puisqu’il s’en inspire, il a formé, entraîné ou coaché plusieurs générations de champions de différents sports (1). Il les a façonnés à sa façon, avec sa méthode. La parole est au « Little Big Man » du Bushido français. Et il n’a pas l’habitude de mâcher ses mots…

5e Dan de Karaté Wado-ryu, combattant de Muay thaï, entraîneur de MMA. C’est une suite logique ?

Complètement. Je suis toujours dans la notion de recherche de l’efficacité. Pour moi, le MMA s’est imposé naturellement. Le combat debout a son importance, évidemment, mais il faut aussi savoir combattre au sol. Dans la rue, cela se termine souvent au sol. Mais je reste dans une logique de sport. Je ne crois pas en la self-défense. Ce sont des recettes inapplicables. C’est mon avis… Si nous ne possédons pas la technique dans notre mémoire musculaire, le stress et la tension font qu’on ne parvient pas à s’en servir. Il n’y a qu’un seul moyen : répéter des centaines de fois le geste.

C’est un discours à l’ancienne…

Mais je n’ai pas oublié mes années Karaté ! Je m’en inspire même. Enfin, je parle du Karaté des années 70, à l’ancienne justement, dur. Je fais travailler mes gars plus en distance de combat de Karaté que de Boxe thaï. Idem pour la notion de temps/contretemps.

Ne pas se laisser toucher ou saisir par les lutteurs puis frapper à cette distance. Je leur fais travailler des techniques comme le Maegeri, un coup qui revient au goût du jour grâce à des combattants comme Machida, Anderson Silva ou Georges St-Pierre. De toute façon, l’ensemble de techniques de Karaté est efficace si elles sont employées au bon timing et à la bonne distance. Après, je crois moins dans les techniques mains ouvertes telles le Shuto.

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Peut-on parler d’une « école Merchet » ?

Euh… Je suppose qu’il existe une certaine originalité dans mon travail. Mais je ne veux absolument pas donner un nom à un style. C’était déjà le cas en 1985, quand j’ai ouvert « Haute Tension ». Je ne voulais pas l’appeler « Merchet Gym ». Pour moi, c’est l’école qui doit être mise en avant.

Mon credo ? Faire d’un combattant qu’il soit le plus complet possible pour attaquer l’adversaire sur ses points faibles. L’idéal, c’est de lui poser des problèmes dans ses points forts et de le dominer sur ses points faibles.

Comment définir « Haute Tension » ?

On est un club de MMA dans lequel la Boxe thaï garde toute son importance. Mes boxeurs restent des boxeurs. Les combattants de MMA viennent chercher de la Boxe Thaï. On compte environ 150 licenciés, principalement en Boxe thaï, et aussi en Karaté enfants. Car je ne veux pas me couper de mes bases et de l’aspect pédagogique vis-à-vis des enfants. Je donne entre deux à cinq cours par jour selon les semaines. Cela va donc de l’entraînement élite MMA au Karaté enfants en passant par la Boxe thaï. Nous ne sommes pas enfermés dans une pratique. Nous combattons aussi en Kick et en Full parfois. On a aussi eu deux champions du monde de Karaté Shidokan à la fin des années 90 (Duarte et Diabaté).

Vous êtes surtout un Thaï boxeur quand même, l’un des précurseurs même…

La Thaïlande dans les années 80, il faut démystifier. On allait dans un camp voir si on pouvait s’entraîner. Si des affinités se créaient, ils nous proposaient des combats. On était les précurseurs, d’accord, mais notre niveau était loin de celui des jeunes d’aujourd’hui. Nous, au « Lumpinee » et au « Radja », on était spectateurs. En fait, c’était la vraie aventure. On combattait dans des petits stadiums. Tu ne savais pas contre qui ; tu t’habillais derrière une bâche ; il n’y avait pas de douche ; tu avais droit à un sandwich et une boisson. On y allait avec nos c… C’était du bricolage.

Pourquoi avoir arrêté le Karaté au profit de la Boxe thaï ?

Le déclencheur a été ma non sélection aux Championnats du monde 1983 en Karaté. J’estimais avoir droit à ma place. Cela dit, j’avais déjà commencé la Boxe Thaï. Je voulais me tester dans quelque chose qui me paraissait peut-être plus complet, plus dur en tout cas. Les combats étaient à frappes réelles, avec coudes et genoux. C’était une sorte de défi supplémentaire. J’aime me lancer des défis. Le premier avait été de m’imposer en Karaté. Le deuxième était de m’imposer dans des règles encore plus larges.

Parlez-nous de ce Karaté des années 70…

A l’époque, c’était du « toute catégorie ». Je pesais 52 kg. Les coups au corps étaient portés à fond et les coups au visage très moyennement contrôlés (il sourit). Vu mon poids, je ne pouvais pas me permettre de rentrer directement dans mes adversaires. J’étais obligé de les attendre et de rentrer en contretemps. J’ai développé le travail de l’absorption/contretemps. J’étais plutôt dans un travail de contre, qui posait des problèmes aux grands.

En Karaté, je pense que j’étais un combattant courageux qui a su se faire respecter dans un monde de grands (il rit). Mais je retrouve ce Karaté des années 70 en MMA, dans le sens où on livre totalement le corps dans l’action. Et il y a encore beaucoup de choses à découvrir. Je m’éclate dans le MMA. Il ne faut pas oublier que j’ai longtemps été portier de boite de nuit où seule la notion d’efficacité comptait. Cela m’a permis d’épurer le superflu.

Avez-vous des modèles ?

Mes deux seuls modèles sont mes deux professeurs, Guy Sauvin en Karaté et Pud Pat Noï en Boxe thaï, deux immenses champions.

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Des regrets ?

Ne pas avoir pesé 50 kg de plus et mesurer 60 cm de plus (il éclate de rire). Non, franchement, aucun regret… J’ai fait ce que j’ai pu avec ce que j’avais. Il a fallu que je sois encore plus rigoureux et plus dur avec moi-même que la moyenne. Mais quand je vois le respect et la crainte que j’inspirais quand je combattais, j’ai fait le nécessaire. Le regret, éventuellement, est de n’avoir pas connu le MMA plus tôt. Cela m’aurait plu de combattre dans ces règles. Mais ma passion est toujours intacte. Je pense que j’ai su me préserver. J’ai toujours écouté mon corps. Avec la transmission, cette passion vit encore.

Vous accordez beaucoup de place à la notion de transmission…

La transmission, c’est essentiel. On m’a donné, j’ai appris, j’ai expérimenté, je transmets. C’est comme ça que les choses avancent. J’ai toujours essayé de le faire dans l’esprit des Arts Martiaux. Je pense qu’il ne faut jamais dissocier sport et art martial. C’est le même esprit.

Quel est cet esprit des Arts Martiaux ?

Dans un premier temps, renforcer son corps. Par ce travail, on va renforcer son mental afin que celui-ci devienne plus fort que le corps. L’objectif est d’être quelqu’un de fort dans son corps et bien dans sa tête, être équilibré en somme. Bref, être quelqu’un de bien.

Au-delà des Arts Martiaux, vous avez également des passions, le rugby en premier lieu…

Première chose, déjà, je ne suis pas passionné de TOUS les sports de combat. Et c’est vrai que j’aime beaucoup le rugby, un vrai sport de combat. Il véhicule des valeurs et des images que je rejoins, loin de celles des millionnaires du foot incapables de représenter dignement leur équipe nationale. Sans les autres, tu n’es personne. Avec mon 1,60 m, j’ai joué au rugby, à l’ouverture puis à l’aile, à Maison-Alfort. Je suis rugbyman dans l’âme. J’aime l’esprit et la mentalité. Le rugby, c’est comme le combat : quand tu ne joues pas en avançant, tu subis.

Vous aimez les sensations fortes ?

J’aime les défis. J’ai l’envie de ressentir des émotions. A l’armée, j’avais choisi d’être plongeur dans la Marine Nationale. J’ai fait ce que l’on a appelé la « campagne du Pacifique » en 1972. Six mois pour faire Toulon – Tahiti, jusqu’à Mururoa pour les essais nucléaires. Croyez-moi, se retrouver au milieu des requins, au début, vous serrez les fesses… Mais ça vous fait travailler votre mental aussi (il éclate de rire). Je compte aussi plus de 100 sauts en parachute, dans le civil. Une sortie à 2500 m, cela possède toujours quelque chose d’exceptionnel !

Un conseil à prodiguer ?

Trouver la bonne personne, celle qui pourra vous amener sur le chemin du combat. Une fois que vous l’aurez trouvé, faites-lui confiance.

 

(1) Ses principaux champions : les frères Rodriguez, Thaobounthong, Lebatteur (Karaté), Hamitèche, Hénin, Lafleur, Duarte, Diabaté, Lenogue, Baron, Amoussou, Vallée, Daffreville… (Liste loin d’être exhaustive)

Interview parue dans Karaté Bushido de novembre 2011