L’idée d’analyser l’apport et la complémentarité de l’Aïkido et du Karaté pourrait apparaître saugrenue à certains. Comment « l’art de la paix » et « l’art de la technique qui tue » pourraient-ils se croiser ? Le Karaté et l’Aïkido n’ont a priori guère de logique identique ; leur philosophie et leur pratique semblent antonymes.

Et pourtant, la richesse de l’un peut faire la richesse de l’autre. C’est ce qu’aborde Giobatta Giusto, 7e Dan de Karaté, 5e Dan d’Aïkido. Il en a fait son sujet de mémoire pour le 6e Dan. Il livre ses réflexions sur le sujet.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


Il a commencé l’Aïkido en 1970, avec l’un des grands anciens de la discipline, Claude Nivet, à Issoudun, petite bourgade de 12 000 âmes sise dans l’Indre. « Cela m’avait bien plu car l’Aïkido de l’époque ressemblait plus au système de self-défense d’aujourd’hui. Les chutes étaient un peu raides, les mouvements un peu appuyés… On recherchait une forme d’efficacité. Aujourd’hui, c’est devenu plus un truc éducatif qu’un art martial », tranche-t-il.

Il s’essaie au Judo avant de découvrir le Karaté en 1973, avec Philippe Lavigne et Alain Auclert, toujours à Issoudun. Depuis, il n’a cessé de pratiquer et d’enseigner. Aujourd’hui 7e Dan de Karaté et 5e Dan d’Aïkido, Giobatta Giusto est également expert fédéral.

Ce qu’il aborde dans son mémoire « Karaté et Aïkido : apports et complémentarités », c’est aussi son histoire, son vécu, sa pratique. A un moment donné, au bout de nombreuses années de pratique, apparaît un « point de croisement » entre les deux arts…

 

Comment vous définir ? Aïkidoka ? Karatéka ?

Non… Avec le temps, ce sont deux constructions techniques qui se croisent. Dans l’Aïkido, on démarre avec l’étude de la souplesse, du déplacement, de l’esquive… Et on termine avec un Aïkido beaucoup plus direct, plus incisif, comme le Sen No Sen.

Au Karaté, on commence à travailler très dur et, à un moment donné, on est obligé d’aller chercher l’esquive, la souplesse, l’anticipation… C’est à ce moment-là où ces deux arts martiaux se croisent.

En termes philosophiques, ils viennent du même pays. On les a habillés différemment après-guerre. Avant-guerre, c’étaient des arts martiaux qui éduquaient les militaires et les étudiants. L’Aïkido est un art martial comme le Karaté. Après, le discours « la victoire par la paix » pour l’Aïkido, la compétition, l’efficacité… pour le Karaté, il s’est fait après-guerre, à partir des années 50.

L’Aïkido, c’est très efficace. Faire une torsion de poignet à quelqu’un qui n’a pas l’habitude de chuter, c’est mortel. Comme le Karaté si l’on ne garde que l’aspect défense, cela fait mal, si l’on travaille sur les points sensibles aussi.

Partant de deux lignes différentes, ces deux arts martiaux se croisent au bout d’une vingtaine ou une trentaine d’années. La recherche est la même : être le plus précis possible, être dans l’instant, anticiper pour éviter la confrontation…

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Pourquoi cela vous semblait-il important d’écrire votre mémoire pour le 6e Dan sur les « apports et complémentarités du Karaté et de l’Aïkido » ?

Justement parce que c’est le point de croisement. Arrivé à un certain âge, on ne peut plus se confronter physiquement. Naturellement, si on prend force physique contre force physique, on ne peut pas gagner. Le but du karaté, ce n’est pas ça. Le but est d’être capable de contrôler le partenaire soit en anticipant, soit en esquivant, mais pas en confrontation.

L’une des particularités de l’Aïkido, c’est qu’il n’y a pas de temps d’arrêt alors que dans la technique de base du karaté, il y a un temps d’arrêt : tu m’attaques, je bloque, je te réponds. Au fil des années, tu réduis ce processus, attaque-blocage-attaque. Tu finis par ressembler à l’Aïkido. Tu bloques en esquive et tu attaques.

Pour moi, c’est le croisement de mon évolution en Karaté et en Aïkido. A un moment, je me suis dit : à l’Aïkido, il faut apprendre les atemis du Karaté parce que ceux de l’Aïkido ne sont pas efficaces, pas incisifs, pas percutants. Au Karaté, il faut que l’on prenne la souplesse, la disponibilité de l’Aïkido. C’étaient les grandes lignes que je voulais mettre en avant.

 

La notion d’Irimi semble essentielle dans votre approche. Pouvez-vous développer ?

Cette notion vient de l’Aïkido mais on la trouve aussi dans des écoles de Karaté. Il existe deux formes d’Irimi. Le Omote : on rentre avant que le partenaire ne développe son action. Il faut des notions d’anticipation, de perception, de maîtrise de l’énergie, car la défense doit être proportionnelle à l’attaque. Et la 2e, c’est l’Irimi Ura : on rentre dans le partenaire en l’esquivant, c’est-à-dire en faisant le tour par l’extérieur.

On retrouve la même chose dans le Karaté même si cela s’explique un peu différemment : soit on absorbe et on contourne, soit on rentre dans l’action avant que l’autre ne la développe.

La notion d’Irimi vient du Jiu Jitsu, de l’Aiki jutsu, du Kai jitsu, du sabre : ou on laisse le sabre de l’autre tomber et on attaque, ou on attaque avant que son sabre ne coupe. Le principe d’Irimi, c’est entrer dans l’action de l’attaquant.

Dans le Karaté, c’est Go No Sen, Sen No Sen plus une autre notion qui se rapproche de l’Irimi de l’Aïkido, c’est le Sen Sen No Sen. C’est l’ultime ! tu as perçu qu’il allait t’attaquer, tu l’attaques, c’est l’un des buts de la pratique de l’Aïkido : comprendre ce qui va se passer.

En Aïkido, on ne bloque pas, on contrôle le bras sans le bloquer, on esquive en faisant le tour du partenaire. Quand on fait Ippon Kumite, on t’attaque et tu te déplaces à droite ou à gauche, c’est à peu près la même technique, même si l’Aïkido est moins bloquant. Bloquer cela peut faire mal. Plutôt que de bloquer un coup de pied, il vaut mieux l’esquiver.

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Dans vos stages, abordez-vous les « apports et complémentarités » du Karaté et de l’Aïkido

Il m’arrive que l’on me demande les déplacements, les torsions, les projections. Car, dans l’interprétation du Bunkaï et dans le travail à deux, beaucoup ont des manques. Dans le Karaté, on travaille de temps en temps quelques torsions, une projection, souvent celle adaptée à la compétition, moins celle du Bunkaï, de la self-défense.

Donc, assez souvent, on me demande de parler des notions d’Irimi, des torsions, des projections pour adapter le travail de la self défense et du Bunkai : sur les saisies, sur les attaques proches…

 

Contact : giustogiobatta36@gmail.com