Les sports de combat, notamment le Karaté, vont être fortement impactés par les conséquences du Covid 19. L’heure est à l’entraide et à l’ingéniosité. Francis Didier est à la manoeuvre. Après avoir exonéré de cotisation les clubs pour les aider à passer l’écueil de la rentrée, le président de la FFKaraté dévoile ses idées et livre son regard sur les mois à venir.

Par Ludovic Mauchien

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Vous avez exonéré les clubs de la cotisation fédérale (250 €). La FFK est la seule fédération à avoir choisi cette voie. Pourquoi ?

Il faut voir une fédération comme une entreprise qui a des succursales, que sont les organes déconcentrés et les clubs, et qui injecte de l’argent à travers un plan de financement.

Le point le plus dangereux, c’est la rentrée de septembre. C’est là que les clubs vont être impactés. Il fallait réfléchir à un plan de financement.

La réflexion, c’était que le club trouve l’entreprise générale qui booste leur système. Comme nous n’avons pas utilisé le plan de financement des compétitions qui ont été annulées, ce qui représente environ 1,2 million €, je le réinjecte dans l’outil de travail : le club et les organes déconcentrés (comités départementaux, ligues).

Car exonérer tous les clubs, ce n’est pas suffisant. Il faut aussi envoyer l’argent immédiatement aux organes déconcentrés pour que tout le monde redémarre. Désormais, les clubs sont financés pour le 15 juin.

Vous n’avez donc pas utilisé le fond de réserve de la fédération ?

La fédération n’a pas de fond de réserve. Le plan de financement, c’est le sang qui fait bouger le corps, c’est le carburant qui fait tourner la machine. Si c’est pour faire un stock de carburant, cela ne sert à rien. Il faut que cela fonctionne. Et l’humain va fonctionner grâce à ce carburant qui est injecté. La FFK n’est pas là pour dire cocorico, c’est super, on a 1 ou 2 millions de fonds de réserve. A chaque bilan, on est en positif d’environ 200 000 €, que l’on réinvestit toujours l’année d’après.

Cela signifie aussi que la FFK pouvait se le permettre sans se mettre en danger…

Oui, mais c’est aussi une question de mentalité. On est la seule fédération à l’avoir fait et, quand je vois les déclarations du CNOSF, cela ne va pas dans ce sens-là. Moi, je parle de réinvestir, pas d’économiser. Il est vrai que nous n’avons pas de dette. L’emprunt que nous avons contracté pour financer le siège de la fédération se termine au 1er janvier 2021. Et ce n’était pas non plus un crédit énorme. Les travaux ont coûté 3,5 M d’€. Nous avons emprunté 1,3 M car nous avions les fonds de la vente des anciens locaux.

La rentrée s’annonce toutefois compliquée. Comment l’envisagez-vous ?

Il faut savoir que, dans toutes les fédérations, le turnover des licenciés est de 40%. La problématique ne concerne pas les anciens adhérents qui vont avoir envie de revenir dans leur club. Sur ces 40%, nous, fédération, on peut avoir 20% de déficit. Mais, le club pris individuellement, en fonction de sa région, de son savoir-faire, de ses disponibilités, va être impacté différemment.

Un club de Province qui dispose d’un grand gymnase va pouvoir recevoir beaucoup de monde en respectant les consignes sanitaires. Par contre, un petit club dans une grande ville, Paris, Lille, Marseille, ce sera plus difficile.

Il faut surtout savoir comment la pensée publique va évoluer. Si je suis parent, vais-je mettre mon enfant dans une activité en salle ou en plein air ? Il faut arriver à sécuriser ceux qui sont endoctrinés par la psychose. Pour le moment, il s’agit plus d’enlever la psychose.

Comment ?

Par une campagne de communication et le système D. Si le club dispose d’une petite salle, les cours peuvent se dérouler en extérieur. Cela se faisait avant. Avec les beaux jours, on s’entraînait dans un parc, en forêt. On ne prenait pas forcément la douche au club mais chez soi… Il faudra certainement changer les comportements et s’adapter à la peur et la psychose des autres, pas la rejeter. Il faut la comprendre. Il faut plutôt trouver des solutions qu’émettre des jugements.

Pensez-vous le sport, notamment le Karaté, en danger ?

Je ne vois pas le Karaté en danger. Evidemment, on attend les annonces du 21 juin mais je pense qu’ils ne pourront pas faire autrement qu’autoriser les sports de combat. Je prévois donc la reprise des clubs. On leur envoie des messages pour les informer sur la façon dont ils peuvent pratiquer.

Cela étant, sans même attendre le 21 juin, on peut déjà s’entraîner en extérieur en respectant les 4 m2 par personne. En Province, on peut aller sur un terrain de foot, en forêt, dans une prairie, sur la plage, dans un grand gymnase… Avec l’été indien en septembre-octobre, c’est possible. De toute façon, les clubs n’attendent pas la fédération pour s’adapter. Ils sont imaginatifs et prennent plein d’initiatives.

Au-delà de la reprise en club, comment allez-vous gérer les compétitions ?

Les premières sont prévues en octobre. Si les compétitions doivent se faire sans contact, on changera le contenu, pas les dates, de notre calendrier. Au lieu d’étaler les compétitions de démonstration (Kata, taolu…) sur toute la saison, on va les regrouper sur le 1er trimestre pour avoir le temps de voir venir. On a prévu les écluses pour s’adapter à la situation. Je ne dis pas que cela va se produire comme cela. Ce sera en fonction des annonces gouvernementales. Mais il faut toujours avoir un plan B ou un plan C.

Cette crise sanitaire peut-elle être une occasion de réfléchir sur une nouvelle forme de pratique et de compétition ?

Je ne réfléchirai pas comme ça tout de suite. Regardons plutôt le côté positif de cette pandémie. Cela va peut-être rendre les gens plus propres. S’il faut attendre une pandémie pour se laver les mains... C’est une éducation, cela fait partie de la civilisation de se laver tout le temps les mains. Et tous ces gens qui passent leur temps à se faire la bise… Restons à la discipline japonaise. Un petit signe de tête, c’est suffisant.

Cela va certainement changer des modes de règlement de société, pas uniquement dans le sport, des changements de comportement, de courtoisie. Pourquoi parler à 10 cm du visage de l’autre ? La notion de distance ne vient pas du Covid 19. C’est une question d’éducation, de savoir-faire.

Vu les problèmes économiques (baisse des subventions et probablement des licenciés), ne serait-ce pas le moment de repenser à un vieux serpent de mer : une fédération des arts martiaux et sports de combat unique ?

Il ne faut pas le voir dans ce sens, mais à travers les alliances économiques, qui permettent de réduire la voilure. On se dirige plus vers une mutualisation. De toute façon, on ne pourra pas continuer dans la voie actuelle, sauf ceux qui ont un sport médiatique avec beaucoup de public comme le foot pro. On ne peut pas dire ça des sports de combat. La baisse des subventions était déjà en route avant le Covid 19.

Les effets vont se ressentir sur un plus long terme. Pour le moment, les fédérations ont encore l’espoir de. Mais quand les comptes vont être faits… La rentrée 2020, c’est l’observation et l’acceptation. De janvier à mars 2021, c’est la réaction. Ensuite, il faudra entrevoir comment repartir en septembre-octobre 2021. Le plan économique… il y a déjà 22% de chômage en plus. Le Covid 19, ce n’est rien à côté. Mon regard n’est pas défaitiste, au contraire. Il s’agit de prévoir et d’être prêt si jamais un impact arrive.

Quel(s) argument(s) avanceriez-vous à une personne pour la motiver à pratiquer le Karaté ?

Vous allez découvrir un mode de société égalitaire à l’intérieur du club et vous allez trouver un ordre à l’intérieur du dojo. Avant de franchir la porte du dojo, tu discutes avec tes copains. Une fois la porte du dojo franchie, tu suis les ordres de l’instructeur, du maître. Celui-ci doit changer de comportement dans le club. Il n’est plus le maître mais l’ami. On est dans la société. On fait plein de rencontres, il n’y a pas de riches, de pauvres, d’inégalités intellectuelles, je suis reconnu par ma valeur. Quand je sors du club, je rayonne mais je ne donne pas de leçons. Je dirai donc : « vous allez rentrer dans une école de vie qui va vous transformer ». C’est un équilibre de vie extraordinaire.

 

A suivre : La vision de Francis Didier à l’international