Depuis le printemps, le Karaté doit s’adapter à l’impact de la Covid-19. Très vite, une nouvelle façon de s’entraîner s’est développée. Ne manquant pas d’inventivité pour répondre aux besoins des pratiquants, le Karaté 2.0 a vu le jour et les cours en ligne sont devenus fréquents aux quatre coins du monde. Effet de mode ? Entraînement complémentaire ? Quel avenir pour ce Karaté moderne ? Jacques Tapol, 8e Dan, Johan Lopes, international, Rida Bel Lahsen, entraîneur de Hong-Kong, et le Japonais Koji Arimoto, senseï de la JKS, donnent leur avis.

Par Florian Fournier / Photo : D.R


 

Le Karaté visio, comme on pourrait l’appeler, a montré une certaine complémentarité avec le Karaté pratiqué au Dojo. S’il va de soi que le Karaté reste un art d’opposition où la confrontation avec un partenaire est primordiale et obligatoire, l’aspect visio peut permettre une évolution technique et mentale selon Rida Bel Lahsen, entraîneur Kumite de Hong-Kong : « Le travail en visio permet de se centrer sur soi-même. On perd en interaction avec son partenaire mais cela pousse aussi l’entraîneur à être créatif, à inventer de nouveaux exercices ».

Pour Johan Lopes, membre de l’équipe de France, « le karatéka doit définir ses propres objectifs et apprendre à travailler en autonomie : répéter, se corriger, se motiver ! La différence est qu’il est seul avec lui-même et entre totalement en immersion dans son processus d’apprentissage. La tâche principale de l’entraîneur est de guider l’élève pour qu’il s’auto-organise et construise son Karaté par lui-même ».

« ON ATTEINT VITE LES LIMITES DE CE SYSTÈME »

Si cela permet de maintenir l’activité et de progresser, la visio est aussi utile pour garder une interaction même si celle-ci est limitée. C’est l’avis de Koji Arimoto, champion du monde kata par équipe 2012 et instructeur de la JKS : « c’est une bonne chose mais cela ne remplacera jamais la pratique réelle. C’est compliqué de guider et corriger les élèves à travers l’ordinateur. De plus, le contact humain est très important pour moi. Après l’entraînement, j’aime échanger avec les élèves, partager des moments de vie. On atteint vite les limites de ce système ».

Avis partagé par Rida Bel Lahsen : « La progression technique et physique en Karaté est bien évidemment possible. Toutefois, elle ne pourra s’effectuer qu’avec la précision et la pertinence des consignes ou des feedbacks du coach ou du sensei, ce qui n’est pas très facile en visio. Je ne pense cependant pas que le Karaté visio sera une passade. Cela dépend du public, de ses aspirations ou de sa disponibilité mais la visio est un bon moyen pour offrir une pratique complémentaire. La création de la plateforme en ligne de coach d’arts martiaux tatamiathome-paris.fr en est la preuve. Le côté pratique de pouvoir s’entraîner n’importe où est motivant lorsque l’on a des difficultés pour se rendre au dojo ».

Johan Lopes est assez d’accord : « l’effet nouveauté s’estompera peut-être pour certains. C’est pourtant un complément d’entraînement très riche. Il faut continuer ! Le Karaté visio donnera l’opportunité à mes élèves du club de s’entraîner plus, à moi d’individualiser davantage mes programmes. J’ai d’ailleurs pour projet de construire mon propre site Internet de cours en ligne ».

« L’INTÉRÊT DES COMPÉTITIONS EN LIGNE : RESTER VIVANT ! »

En parallèle des cours ou des stages qui ont fleuri à vitesse grand V sur la toile, des compétitions ont aussi vu le jour. Que ce soit en Kata ou en Kumite, les karatékas du monde entier peuvent se mesurer les uns aux autres de manière virtuelle. Fort de ce succès, Sportdata, la plateforme de gestion du ranking WKF, a même créé ses propres compétitions avec son propre ranking. Aujourd’hui, il est possible d’être n°1 mondial en e-kata (ou kata en ligne) ou en e-kumite. Même si cela peut sembler surprenant et en laisser perplexe plus d’un, on y trouve du positif. « L’une des principales valeurs du Karaté est le besoin de se confronter à l’autre. Nous avons tendance, durant cette dure période, à nous sentir « oublié », comme-ci nous n’étions plus dans « le game ». C’est l’intérêt de ces compétitions en ligne : rester vivant ! Le Karaté nous aide à grandir par les relations humaines et par la concurrence », souligne Johan Lopes.

Une idée partagée par Rida Bel Lahsen : « La compétition sert à se mesurer, à atteindre ses objectifs, à montrer le résultat de son entraînement… En ces temps compliqués, c’est aussi un moyen efficace de garder la motivation pour les compétiteurs et, d’un point de vue technique, d’entretenir ses points forts et d’améliorer ses points faibles ».

« LA JKS VA CONTINUER DE PROPOSER DES COURS EN LIGNE »

Apprendre, progresser, maintenir l’esprit de compétition… Le Karaté en visio s’avère un outil très utile en ces temps moroses. Cependant, le Karaté est une discipline d’échange, d’interaction et de transmission et, bien que le contact reste virtuel, la visio permet d’être connecté au même moment dans des régions totalement différentes pour partager un même savoir. Et c’est bien là l’essentiel. Entretenir le moral et le physique des Karatékas.

Pour Koji Arimoto, c’est la mission de la JKS (Japan Karate Shoto federation). A travers des cours organisés toutes les semaines et totalement gratuits, les membres peuvent s’entraîner à la maison comme s’ils étaient au Japon. « La JKS va continuer de proposer des cours en ligne. Cela permet aux membres du monde entier de partager un entraînement en commun et de renforcer les liens de cette grande famille. Le nombre important de personnes connectées pendant le confinement était exceptionnel. Nous sommes satisfaits de cette initiative et du retour obtenu. Nous allons continuer à proposer de nouveaux contenus ».

« C’EST UN EXCELLENT OUTIL MAIS IL FAUT TESTER CE QUE L’ON FAIT »

Jacques Tapol, un champion du monde 8e Dan qui enseigne au Kikentaï à Paris, s’est lancé depuis peu dans l’aventure et est de plus en plus séduit : « C’est un excellent outil avec lequel on peut apporter une pointe plus technique, plus spécifique, où un autre prof peut apporter des idées nouvelles… C’est un bon complément. Mais cela ne remplacera pas les cours car il manque le contact, bien sûr. Il faut quand même tester ce que l’on fait. Après, si la personne est avec un partenaire, cela peut très bien fonctionner ».

Que ce soit au Japon ou en France, l’idée est la même, comme en témoigne Johan Lopes : « La présence en visio est nécessaire pour partager le besoin « vital » de s’entraîner ensemble. Même pour les enseignants, l’objectif est de vivre le moment présent et d’oublier les informations négatives. Pour entretenir leur motivation, il faut garder le contact et programmer des contenus d’entraînement réguliers. Je travaille sur mes lives tout en postant du contenu YouTube. Je recherche de la nouveauté pour les pratiquants, des outils pour travailler seul et je partage mes anecdotes de compétitions. Je leur parle aussi du post-confinement, de l’importance de continuer de se préparer pour les compétitions futures par exemple. Il faut finalement tenter de gérer parfaitement notre nouvel espace-temps ! ». C’est le monde d’après !