La nuit a été très courte pour Steven Da Costa, médaillé d’or hier aux JO de Tokyo (-67 kg). A quoi ressemble un réveil de champion olympique ? Comment a-t-il géré sa compétition ? S’est-il fait peur ? A quoi est dû sa métamorphose entre le matin et le soir ? Comment a-t-il vécu sa journée ? S’est-il fait plaisir ? Le « petit prince » du Karaté revient sur son extraordinaire performance et raconte pourquoi et comment il est devenu le 1er champion olympique de l’histoire.

Par Ludovic Mauchien

Photo : Kphotos


 

Il ne s’en rend pas encore compte. On ne s’en rend pas encore forcément compte. Mais ce qu’a réalisé Steven Da Costa à Tokyo est très, très fort. Évidemment, quand tout fonctionne et que le succès est au rendez-vous, cela paraît facile.

Pourtant, le Français a connu des hauts et des bas dans l’approche de ces JO. Il a dû se remettre en question, ce qu’il a admirablement fait. Le report des Jeux l’an passé lui avait mis un coup derrière la tête. Au retour, la motivation n’était pas optimale, la manière non plus. Il lui aura fallu une 3e place aux Championnats d’Europe mi-mai pour se remettre en ordre de matche. Depuis ? Silence radio. Il bossait, bossait, bossait.

Arrivé dans le money-time, il a tout coupé, pour mieux se renfermer. Gérer la pression olympique est quelque chose d’unique, de compliqué. Il l’a, là aussi, admirablement fait.

« TF1, FRANCE TV, M6… CA VA À 2000 À L’HEURE ! »

Et que dire de son tournoi ?... Sur la réserve le matin, une défaite au compteur (7-4 contre le Jordanien Almasatfa), il est revenu lui-même l’après-midi, écartant un Assadilov pourtant en feu. Ca aussi, c’est fort. Etre capable de faire reset et de switcher en pleine compétition, seul un grand champion peut le faire. Steven Da Costa est de ceux-là.

Quand nous l’avons joint, il était midi au Japon. Steven Da Costa était au Budokan, sur les lieux de son exploit, venu voir du… Karaté.

Ca fait quoi de se réveiller champion olympique ?

Franchement, pour le moment, rien. Je n’arrive pas à redescendre. Ca va à 2000 à l’heure ! J’enchaîne tellement de trucs que je ne réalise toujours pas. Il va me falloir quelques jours quand même.

Depuis hier, j’ai tout fait : TF1, France TV, M6… Je suis rentré dans ma chambre à 3h du matin. Je n’ai même pas mangé. J’étais défoncé. Mais, cette médaille… Elle est magnifique !

« J’AI RESSENTI LE BESOIN DE M’ISOLER »

Pourquoi es-tu à la salle ? Pour revoir le lieu de tes exploits ?

Non, pour sortir un peu, voir les autres combattre. Il y a du monde magnifique aujourd’hui. Il va y avoir de très beaux combats, du spectacle. C’est aussi histoire de sortir de ma chambre. Il fallait que je m’aère un peu. Et le téléphone n’arrête pas, je ne le lâche pas.

Ton sentiment prédominant : le soulagement, la joie ?

C’est… Enfin ! ENFIN !!! Cela a été dur. J’ai eu des périodes difficiles. Mais je n’ai jamais rien lâché.

As-tu pu fêter ton titre olympique ?

Même pas ! Je suis rentré trop tard. Et au village, il n’y a rien. Y a nada ! On a des petites bouteilles de Sake. On va voir quand on aura plus de temps. On va quand même trinquer. Sinon, je vais attendre de rentrer pour fêter ça comme il se doit.

Pourquoi voulais-tu t’isoler la semaine dernière ? Tu en ressentais le besoin ?

Oui, j’en ai ressenti le besoin. Je voulais être dans ma bulle. Chez moi, je suis partout, il y a ma tête sur toutes les mairies des 21 communes, les bars, les panneaux lumineux… plus tous les médias, etc, la pression commençait à monter. Je ne voulais pas me perdre là-dedans. Cela fait un ou deux mois que je ne dis rien, je ne publie rien. Je voulais m’effacer. Je voulais être dans mon truc. Je ressentais le besoin de m’éloigner de tout ça. Je voulais être vraiment focus sur mon truc. La com’, c’est la médaille.

« CETTE 3e PLACE EN CROATIE, C’ÉTAIT LA CLAQUE QU’IL ME FALLAIT »

En Croatie, quand tu fais 3e, tu nous dis : « je sais ce qu’il me reste à faire ». C’était quoi ?

C’était de me tuer à l’entraînement. Là, je me suis tué, vraiment ! Avec mon père, on a mis un gros planning en place. Olivier (Beaudry) a fait quelques aller-retours chez nous, des partenaires aussi.

Je me suis tué ! Comme je l’ai toujours fait. En fait, je n’ai rien changé. Mais, à un moment donné, avec le Covid, etc, il y a eu un petit coup de moins bien. Cette 3e place en Croatie, c’était la claque qu’il me fallait pour refaire les choses à la dure, c’est ce qu’il fallait. Hier (vendredi), j’étais prêt. Mentalement, j’étais prêt dans la tête, même si cela a été très, très compliqué. Physiquement, j’étais aussi prêt.

Tu n’as pas beaucoup de poings, quasiment que des jambes, comme avant…

Oui, mais j’ai quand trouvé qu’elles avaient du mal à sortir, surtout en poule. Dans les phases finales oui ! La pression que j’ai depuis quelques années... A chaque fois, je suis favori, favori, favori. C’est parfois dur à porter. Dans les poules, j’étais crispé. Par contre, je suis très, très content de ma ½ finale et de ma finale.

« JE VOULAIS MONTRER MON VRAI VISAGE »

Comment t’es-tu remis à l’endroit entre le matin et l’après-midi ?

J’ai coupé. Je suis rentré au village. A la base, je devais rester à la salle mais j’ai dit à Olivier que je préférais retourner au village. Dans ma tête, je devais changer de journée.

Une fois arrivé dans ma chambre, je me suis dit : « c’est bon, tu as assuré la médaille ». Tout le poids que j’avais sur mon dos, je l’ai posé dans ma chambre et je me suis dit : « bon, maintenant, soit je me lâche, soit je regarde les autres gagner à ma place ». Et quand je suis revenu, c’était autre chose. Je voulais montrer mon vrai visage, mon vrai moi. Et adviendra ce qu’adviendra. Cela a marché !

Quand tu es mené contre Assadilov en ½ finale (0-2), que penses-tu dans ta tête ?

Rien ! A aucun moment, je n’ai douté. J’étais moi-même. Je savais que cela allait être dur. En plus, Darkhan était en feu hier. De toute façon, tous les combats étaient durs.

Ce qui m’a un peu gêné, ce sont les distances sur les -60 kg. On ne le dirait pas comme ça mais c’est une façon totalement différente de combattre. Quand ils sont trop près pour moi, ils peuvent quand même me mettre des jambes. Ils sont plus courts que moi. Quelque fois, cela peut être compliqué. Mais je n’ai pas douté. En vrai, c’était un peu un remake des championnats du monde (il rit).

« JE NE CALCULAIS RIEN, JE NE FAISAIS ATTENTION À RIEN. J’ÉTAIS LÀ POUR GAGNER »

Tu n’avais jamais combattu contre Assadilov et Samdan, vu que ce sont des -60. Est-ce plutôt un avantage ou un inconvénient ?

Les deux. Je savais pourquoi j’étais là. On était tous là pour la même chose. -60 ou -67, il n’y avait plus de différence. Mais c’est vrai que quand on ne s’est jamais affronté, tu peux avoir des surprises, dans le bon ou le mauvais sens. Il faut s’adapter.

Ne pas terminer 1er de ta poule et devoir rencontrer Assadilov en ½ finale t’a-t-il embêté, ou pas du tout ?

Franchement, le classement de la poule, je m’en foutais. Il fallait que je me qualifie et c’est tout. J’aurais fini 1er, j’aurais certainement pris Eray (Samdan) en ½ et Darkhan (Assadilov) en finale. Cela aurait été la même chose. L’important, c’était de sortir de la poule. Je ne calculais rien, je ne faisais attention à rien. J’étais là pour gagner mes combats et c’est tout.

« JE N’AI RIEN VU DU VILLAGE ! J’AI 3 JOURS POUR EN PROFITER »

Ton programme des prochains jours ?

Aucune idée ! Cela va être dur… (il rit). On rentre lundi en France. Ici, on ne peut pas sortir du village mais, à l’intérieur, on fait ce que l’on veut. C’est un peu plus light. Ca va encore.

Justement le village, vas-tu essayer d’en profiter ?

Pour l’instant, je n’ai rien vu. Quand je suis arrivé, la 1ère chose que j’ai faite est d’aller dans ma chambre. Et, depuis, je ne suis pas sorti, seulement pour aller manger. J’ai dormi. Je n’ai rien vu du village ! J’ai fait zéro photo, même pas avec les anneaux, rien.

Je m’étais dit que je le ferais uniquement si j’avais une médaille autour du cou. C’est beau les Jeux, c’est magnifique, mais je n’étais pas venu pour faire le touriste. Je ne voulais pas me perdre dans l’ambiance Jeux. C’est tellement un truc de ouf’. Maintenant, j’ai 3 jours pour en profiter. Je pense que j’ai bien fait (il rit).