Il n’a pas manqué un combat des JO. Il s’est éclaté, surtout le 1er jour. Il a été impressionné par Steven Da Costa, séduit par Tareg Hamedi, frustré par le KO et le sacre de Ganjzadeh, irrité par certaines décisions arbitrales, agréablement surpris par Harspataki, Almasatfa et Gaysinsky.

L’Anglais Wayne Otto, 9 fois champion du monde, légende du karaté, revient sur les Jeux olympiques avec son œil d’expert, son regard avisé. Une analyse fine et pertinente des combats et des Karatékas. Passionnant !

Propos recueillis par Ludovic Mauchien


-67 KG : « CHAQUE GÉNÉRATION A UN « SPECIAL ONE ». C’ÉTAIT AGHAYEV, MAINTENANT, C’EST STEVEN »

« Le 1er jour a été fantastique, la meilleure publicité possible, le meilleur départ pour promouvoir le Karaté à la télévision. Steven Da Costa est absolument l’un des plus grands athlètes de ces Jeux. Chaque génération a son « spécial one », quelqu’un de très particulier. De 2000 à aujourd’hui, c’était Aghayev. Désormais, le spécial one, c’est Steven. Les doigts dans le nez ! La dernière fois que j’ai vu quelqu’un comme lui en France, c’était Alexandre Biamonti. Steven est la vraie affaire. Son timing, ses jambes, son œil, tout…

Il a perdu son 2e combat mais il m’a montré qu’il avait une vraie force mentale. Après cette défaite, il n’a plus perdu. J’avais des doutes sur lui il y a environ 3 ans. Mais, après sa victoire aux championnats du monde en 2018, je me suis dit qu’il fallait le surveiller de près.

Eray Samdan a aussi fait un travail fantastique. Je l’ai vu combattre au tournoi de qualification à Paris. J’ai une petite conversation avec lui dans l’ascenseur. Il souriait en me disant : « J’ai fait 6 combats, j’en ai encore 3. Je ne suis pas encore qualifié ». Il avait une grande détermination. ET ils se qualifie pour les JO et la finale… Il a très bien combattu !

Darkhan (Assadilov), comme toujours, est un excellent combattant. Mais, à cette occasion, Da Costa a pris sa mesure. C’était le jour de Steven Da Costa ! Mais Darkhan s’en est très bien sorti. I a fait une bau tournoi.

La catégorie des -67 kg était très dure. Presque tous les combattants avaient la possibilité de gagner, en particulier le Jordanien, Almasatfa. C’est une surprise pour moi. Ses coups de pied, son œil… Il faudra le surveiller de près. Il a des capacités énormes ».

 

-75KG : « ETRE MENE AU SCORE PAR BUSA N’EST PAS UNE BONNE IDÉE »

Ce n’était pas aussi spectaculaire que les -67 kg la veille. La différence entre les -75 kg et les autres catégories, c’est que, comme celles-ci sont fusionnées, certains combattants ne se sont jamais affrontés. Alors qu’en -75 kg, tout le monde se connait par coeur. Logiquement, c’était plus tendu. D’ailleurs, il n’y a pas eu de gros scores.

D’ailleurs, à cause de cela, beaucoup plus d’avertissements ont été donnés le 2e et le 3e jour. Pour moi, c’est un vrai problème. Je pense que, dans une compétition, il faut absolument avoir plus de points que d’avertissements.

Cela dit, Aghayev a mérité de se qualifier pour la finale. Il a fait son boulot. Tous l’ont d’ailleurs fait. Mais je n’ai trouvé personne exceptionnel.

Je pensais que Ken Nishimura se qualifierai. Il a fait quelque chose qui n’était pas du tout dans l’esprit japonais : fuir. Il en a payé le prix.

Il n’y a pas eu réellement de surprises, sauf Harspataki. Son combat contre Nishimura, son coup de pied à la dernière seconde, c’est probablement le moment fort de ces Jeux. Ce qu’il a fait, cette détermination à aller de l’avant… Son dernier coup de pied était spectaculaire mais il faut se souvenir a fait exactement la même chose en finale du tournoi de qualification à Paris. Il possède donc cette capacité même quand tout semble fini.

C’est ce que je dis à beaucoup de combattants. D’une manière ou d’une autre, dans votre arsenal, quand c’est vraiment important, quand vous n’avez plus le choix, vous devez avoir une technique forte à envoyer, forcément une technique à 3 points. Harspataki a montré qu’il avait cette technique à 3 points et qu’il pouvait la sortir exactement quand il en avait besoin, à la demande. C’était un moment spectaculaire.

Concernant la finale entre Busa et Aghayev, je n’ai pas vraiment aimé. Non pas que je n’apprécie pas les combattants mais… Où sont les points ? Je cherche du Karaté, un karaté propre. Il y a eu beaucoup de poussées, de saisies… Je dois me rappeler ce qu’est l’âge moderne du Karaté. Ils jouent avec les règles. Si celles-ci sont différentes, la physionomie des combats change.

Et le fait est qu’ils se connaissent par coeur. Ils s’affrontent depuis 10-15 ans. Ons ait que leur combat ne sera pas excitant, avec plein de points et de techniques spectaculaires. Ils se connaissent tellement bien qu’ils savent que le pour gagner ce combat, il faut marquer le 1er point, c’est tout. Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit que chacun d’eux ne sache pas l’un de l’autre. Ils savent même ce que chacun prend au petit-déjeuner.

Ce n’est pas le problème que j’aime le combat ou pas, ça s’est passé comme je m’y attendais. Le résultat… Cela aurait pu aller à Busa, cela aurait pu aller à Aghayev.

Busa contre Horuna. J’ai parlé brièvement à Horuna. Il m’a dit qu’il n’était pas satisfait de sa performance. Ils se connaissent tous très bien. Horuna vient de remporter le championnat d’Europe dans un combat spectaculaire contre Aghayev, un coup de pied de dernière minute. Il a bien combattu à Tokyo. Busa était juste meilleur sur ce match-là, ce jour-là. C’était son jour, c’est tout.

Et, avec Busa, si vous êtes mené, c’est très difficile de revenir au score car il bouge très bien sur le tapis, a un bon timing, etc. Être mené par Busa n’est pas une bonne idée ».

 

+75 KG : « LE DERNIER COMBAT DU DERNIER JOUR… J’AI UN GOÛT AMER… POURQUOI PAS MUBOBI ? »

« Pour moi, c’est décevant de terminer le tournoi ainsi. Connaissant bien Sajad (Ganjzadeh), je ne pense pas qu’il voulait gagner comme ça. Je suis triste pour Tareg (Hamedi) car je suis persuadé qu’il allait gagner. Il était en feu. Il était au-dessus ce jour-là. Mais il est fort depuis de nombreuses années. Je l’ai vu pour la 1ère fois en 2015, aux Championnats du monde juniors. Il a gagné sa catégorie, et il a remporté tous ses combats 8-0 !

La 1ère fois que je l’ai vu en Senior, c’était au K1 à Okinawa il y a 3 ans. Il était déjà au-dessus du lot. Il avait quelque chose de spécial. Le fait qu’il ait finalement performer n’est pas une surprise. Mais, de là à être en finale et presque être champion olympique, waouh ! C’est une sacrée progression (il rit).

C’était vraiment une finale agréable avant le KO. Mais, après-coup, j’ai un goût amer. C’était le dernier combat du dernier jour des Jeux Olympiques, et cela ne devait pas se terminer ainsi. Les arbitres avaient le devoir de considérer cette situation et de penser : « si nous terminons là-dessus, ce serait peut-être mauvais pour le Karaté, pour nous et, au contraire, ce qu’il faut regarder c’est : c’est du karaté, c’était une technique, ce gars doit gagner. Nous devons avoir un gagnant qui se tient debout. Ainsi, le public peut comprendre. Comme en boxe, c’est celui qui est debout qui gagne. Ils auraient dû considérer cela. C’est ça, le problème.

Nous avons reçu beaucoup de retours négatifs sur les réseaux sociaux. J’ai lu quelques posts et je dis : « aucun d’entre vous ne sait de quoi il parle, car c’est très difficile de déterminer la force d’un coup de pied, à moins de le prendre. Ce que vous croyez être un coup de pied pas trop puissant peut frapper juste au bon endroit et mettre KO. Et des coups de pied que vous croyez très puissants ne mettent pas KO.

Vous savez, lors de la finale des Championnats du monde 1996, Herrero m’a donné un coup de pied dans les yeux. Et j’étais aveuglé. Je ne voyais plus rien. J’ai gagné le championnat du monde comme ça.

Pourquoi pas Mubobi ? Il y a eu un Karaté 1 avec Jordan Thomas et Pokorny où ils l’ont fait. Au début, ils ont disqualifié l’Autrichien qui a ensuite posé réclamation, et la décision a été annulée. Ils ont mis Mubobi à Jordan. Ils avaient donc déjà une référence.

Le problème du Karaté est que… Dans d’autres sports, la performance est jugée sur la performance, c’est clair et simple. En Karaté, nous sommes jugés en fonction de nos performances mais nos performances dépendent de la qualité des arbitres. Parfois, vous pouvez scorer un point parfait mais les juges ne le voient pas !

En tant que coach, on peut recourir à la vidéo, mais il ne devrait jamais y avoir de situation où un entraîneur voit un point et 4 juges ne le voient pas ! Vous sortez la carte pour la vidéo. On voit qu’il y a un point. Comment un coach peut-il le voir et pas les 4 juges, d’autant plus ont une meilleure position ? C’est un vrai problème. Le pire, quand vous faites appel à la vidéo, parfois, aka marque et Ao demande la vidéo parce qu’il pense aussi avoir marqué en même temps. Et, à la vidéo, vous voyez que le point d’aka n’est pas valable ! Mais les 4 arbitres l’ont pourtant donné ! (Il rit). C’est le problème.

Regardez la finale. Le Ura de Tareg n’est pas valable ! Tous les arbitres ont pourtant levé leur drapeau. Et ce n’était pas la seule fois. En qualification, les athlètes ne sont pas jugés sur la qualité de leurs techniques. Notre foi est entre les mains des arbitres. Leur niveau et leur forme du jour détermine la victoire ou la défaite !

Ce serait mieux si, au lieu de 4 juges, on avait juste 1 arbitre. Vous avez 1 arbitre, 1 coach, 1 carte vidéo et vous prenez la décision. Mais avoir 4 juges qui ne voient toujours pas les points, qui ne voient même pas si la technique n’est pas valable… C’est terrible !

Revenons aux athlètes, j’ai été déçu de voir la blessure de Jonathan Horne. On a l’impression qu’il s’est cassé le bras. C’était... bof ! J’ai aussi aimé les combats de Gogi (Arkania). Je trouve qu’il a vraiment bien combattu pour se qualifier aux Jeux olympiques.

Kvesic, lui, a largement sous-performé. Je ne sais pas s’il était blessé ou non, mais il n’avait pas aussi faim que par le passé.

Araga ? J’ai trouvé sa performance correcte et crédible. Il mérite sa médaille de bronze. Le fait qu’il soit la seule médaille du Kumite japonais ne me surprend pas tant que ça. Je pense aux 2 dernières années, avec le Covid, les combattants japonais ont été isolés. Je pense que si ces Jeux avaient eu lieu il y a un an, certains résultats auraient été différents. Mais Tareg a fait du bon travail contre Araga.

Celui qui m’a impressionné avec son karaté, c’est le Canadien Daniel Gaysinsky. Je l’avais remarqué il y a quelques années et j’avais trouvé que c’était un bon combattant. Et il s’est qualifié pour les Jeux olympiques. Il a été éliminé par Tareg mais, dans les autres matches, il a très bien combattu.