On connaît tous Lyoto Machida, le détenteur la ceinture des 94 kg à l’UFC, la star internationale du MMA en mode Karatéka, invaincu en 16 combats. Mais, à Belém, aux portes de l’Amazonie, il est le fils de. En l’occurrence, Yoshizo, 7e dan, formé par les fondateurs de la JKA, arrivé au Brésil à 22 ans. Il a formé ses 4 fils au Karaté. Nous avons passé trois jours avec la famille Machida, dans leur univers. Lyoto était en pleine préparation de sa deuxième joute contre Shogun à l’UFC 113. Les Machida au quotidien…

Par Ludovic Mauchien

Photos : LM

[L’idée : offrir un moment d’évasion, de rêve, de voyage en ces temps de confinement. Durant mes années de rédacteur en chef au Karaté Bushido, j'ai eu la chance de rencontrer des gens assez extraordinaires dans le monde entier, en Inde, en Chine, au Vietnam, au Japon, en Indonésie, au Brésil… J'ai souhaité partager ces rencontres à nouveau. Je le fais sur mon FB personnel mais comme ce 4e article concerne le Karaté, je le publie aussi ici. Épisode 4 : Brésil 2010.]

 

A Belém, la vie s’écoule paisiblement à l’ombre de manguiers géants. Cité coloniale construite au XVIIe siècle, ville d’1,5 million d’âmes bâtie à l’embouchure du fleuve Pará, elle est la porte d’entrée de la forêt amazonienne. Certaines rues pavées mènent d’ailleurs jusqu'aux abords de la jungle.

Belém (prononcez Béléééém), au Nord du Brésil, c’est aussi l’une des portes d’entrée de l’immigration japonaise au Brésil. C’est la ville où a débarqué Maeda à l’aube du XXe siècle. C’est dans cette cité que le maître de Judo enseigna son art à Helio Gracie, qui développa ensuite le Jiu Jitsu brésilien.

Eh oui ! Cette forteresse portugaise érigée contre les pirates est le bastion de la dynastie Gracie. Mais, aujourd’hui, c’est surtout celui de la famille Machida. Yoshizo, le père, a fondé l’APAM, « Association Paraeis Artes Marciales », à son arrivée en 1980. Son 3e fils, Lyoto, avait 3 mois. Aujourd’hui, son Dojo est devenu une institution, son fils une star internationale. A Belém, le champion est surtout le symbole de la réussite, la fierté de cette ville.

Dès l’aéroport, on est plongé dans le bain, avec le jeune chauffeur de taxi. Le seul nom de « Lyoto », comme on l’appelle ici, suffit à trouver le chemin. Les premières images de la ville ? Son combat victorieux contre Rashad Evans pour la ceinture des 94 kg en 2009, que le chauffeur tient absolument à mettre dans le lecteur DVD (qui remplace l’autoradio) de son taxi.

L’APAM se trouve dans l’une des artères centrales de la ville. A l’origine, c’est une maison coloniale. Aujourd’hui, la bâtisse est comme flambant neuve, restaurée de fond en comble grâce aux deniers gagnés par Lyoto.

« Sa vie est rythmée par ses combats pro à l’UFC »

17 h, Lyoto Machida arrive dans son 4 x 4 flambant neuf. Sourire aux lèvres, il se montre chaleureux. « Ce soir, je vais juste faire un peu d’entretien physique », explique-t-il. « Je me suis déjà entraîné ce matin ». 4 h 30 en tout. 3 heures de Karaté avec son père et son frère cadet Chinzo et 1h30 de Jiu-Jitsu brésilien.

L’atmosphère est décontractée. L’ambiance est même familiale. Pas de pression à l’horizon. Seule une bande de mômes s’entraînent dur à quelques mètres pour ressembler à leur héros, sans le déranger. C’est tranquille, sauf pour Lyoto, qui enchaîne les épaulés à 160 kg, les sauts pieds joints et les frappes supersoniques au sac. En fait, le décrassage musculaire se transforme en une séance assez poussée de muscu et de cardio durant 1h30 !

En ce début mars, les choses sérieuses ont commencé pour lui. Dans deux mois, il va de nouveau affronter Shogun pour la ceinture des 94 kg à l’UFC. « Je me concentre totalement sur un combat trois mois avant la date », explique-t-il. « Mais je m’entretiens toute l’année. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de faire un régime sévère car je surveille l’équilibre de mon alimentation. Je n’ai jamais plus de 5 kg à perdre. Trois mois avant, l’entraînement s’intensifie et se spécifie ».

Depuis quelques années, sa vie est rythmée par ses combats professionnels à l’UFC. Désormais, il ne donne plus de cours, contrairement à son père et ses deux frères Hidetake et Chinzo (le troisième est journaliste à Salvador). Ce dernier se concentre beaucoup sur l’entraînement de Lyoto. Ils sont même inséparables. Chinzo, c’est le coach, le mentor, le confident, l’homme de confiance du guerrier. Admirable technicien, il a été vice-champion du monde JKA en 2006.

« Mon père continue de corriger ma technique en Karaté »

Yoshizo, le père, est absent pour cette séance de musculation. « Il continue de corriger ma technique mais seulement en Karaté. Il y a quelques années, il refusait d’intervenir car il ne voulait pas que je fasse du MMA. Mais je le voyais quand même regarder de loin, du coin de l’oeil, la manière dont je travaillais », rigole Lyoto.

9 h 30 le lendemain. Aujourd’hui, c’est sparring en Jiu-Jitsu et en MMA. La sueur va être déversée au 2e étage. Le rez-de-chaussée est occupé par une petite salle de musculation et le superbe Dojo au parquet brillamment patiné. Le 1er étage accueille une salle de muscu « high tech’ ». Le dernier étage est une terrasse couverte, à l’air libre. C’est la salle de Jiu Jitsu.

Lyoto Machida va tourner pendant 1h30, parfois de façon relâchée, parfois plus virilement avec trois sparrings brésiliens. Enchaînements, reprises en main technique, combat avec son frère. Il ne dit rien, il ne rechigne en rien. Il écoute. Il exécute. Il travaille. Dans la sérénité, dans la tranquillité. C’est d’ailleurs ce que sa personnalité transpire, ce que ses combats respirent. « C’est important de réaliser qu’on laisse un message pendant un combat. Ce message ne s’exprime pas seulement avec des mots mais aussi dans l’attitude. C’est l’éducation de mon père. Un Samouraï est impitoyable au combat et reste quelqu’un de courtois et poli ».

 MG 8398 OK

« En 1968, comme en Karaté, je n’avais rien dans les mains », Yoshizo

16 h. Machida père est là. L’homme en impose. Formé par les légendaires Kanazawa, Nishiyama et Sugihara, Yoshizo a été champion du Japon en Kata et 3e en combat en 1967. Il est alors 2e Dan d’Aïkido et 3e Dan de Karaté. En 1968, à 22 ans, sans le sou en poche, il décide de quitter son Japon natal pour le Brésil. Ingénieur civil, il travaille au cœur de la forêt amazonienne avant de migrer à Sao Paulo, Salvador puis Belém en 1980. 42 ans après son départ, c’est un homme posé, empli d’humour, qui donne toujours son premier cours de la journée à 6 h du matin et qui est désormais 7e dan JKA.

« Ma philosophie ? C’est tout essayer ! », sourit Yoshizo Machida, attablé dans la cour pavée du club, à l’ombre d’un manguier géant. « Regardez l’Académie. Elle a 30 ans. Quand je suis arrivé au Brésil en 1968, j’avais 100 dollars en poche. Comme en Karaté, je n’avais rien dans les mains (rires). J’ai commencé doucement. Des copains m’ont prêté de l’argent. Pendant dix ans, je n’ai fait que travailler, pas de samedi, pas de dimanche, pas de vacances. A Bahia, avant de venir à Belém en 1980, j’avais 26 académies. La principale comptait 1200 élèves. J’ai tout recommencé en arrivant ici. Aujourd’hui, il y a 600 élèves ».

17 h. Le fils prodige arrive. Un voisin, un ancien, vient le saluer et lance dans un français teinté de brésilien : « Vous allez voir, Lyoto, c’est un grand enfant ! ». Il a raison. Par instants furtifs, Lyoto Machida fait sentir un énorme potentiel d’humour. « Ca s’est bien passé avec mon père ? », lance-t-il, un brin curieux. La réponse est positive. Une clé vient de tourner. Une porte s’est ouverte.

« Il y a 3 manières d’aborder le Karaté. Moi, je préfère Go No Sen »

Ceinture noire à 13 ans, Lyoto découvre l’UFC à la TV à l’adolescence. C’est le déclic. « J’ai toujours voulu être champion. Quand j’ai vu l’UFC, j’ai tout de suite pensé que c’était fait pour moi ». Déjà champion amateur de Sumo, qu’il a pratiqué plusieurs années, Lyoto se met au Jiu Jitsu. Il dispute son premier combat pro en cage en 2003. NJPW, Jungle Fight, K-1 Hero’s… Il compte huit succès en huit combats lorsqu’il obtient sa chance à l’UFC en février 2007. Depuis, il est invaincu en 16 combats et a gagné la ceinture des -94 kg qu’il remet en jeu dans deux mois. Pour aujourd’hui, place à la muscu. La séance est identique à celle de la veille, bien qu’un peu allégée car, le lendemain, il y a Karaté à 6 heures du matin.

« Notre Karaté trouve ses origines dans les Arts Martiaux, pas dans le sport », assure-t-il. « Il compte des techniques anciennes que la pratique moderne a oubliées : les coudes, les genoux, les amenés au sol… L’approche, la philosophie est différente du Karaté sportif. Mais ce n’est pas non plus du Karaté d’Okinawa. C’est le Karaté que mon père nous a enseigné, dans la tradition, tout en ayant un soupçon de modernité, en adaptant des techniques au MMA, par exemple. Mais c’est du Karaté avant tout, du Karaté Machida. Après, il y a trois manières d’aborder le Karaté : Go No Sen (contre-attaque), Sen No Sen (anticipation), « Yu No Sen » (attaque). Mon père et mon frère sont plutôt attaquants. Moi, je préfère Go No Sen ».

 MG 8616 OK

« Je bois un verre d’urine. Pour nous, c’est un médicament naturel »

6 h le vendredi. Quand il arrive au Dojo, Lyoto Machida s’est déjà adonné à deux traditions familiales : un quart d’heure de méditation « pour améliorer ma maîtrise de la nervosité et de l’anxiété » et un verre de sa propre…urine ! Mythe ou réalité ? « Oui, oui, c’est vrai », répond-il sans ambages. « Mon grand-père le faisait. Mon père le fait. C’est une pratique millénaire. Pour nous, c’est un médicament naturel. Il y a beaucoup de controverses au sujet de l’urinothérapie. Beaucoup d’études ont été réalisées sur le sujet mais n’ont pas été divulguées au grand public. Les grands laboratoires n’y ont aucun intérêt. Moi, j’y crois beaucoup. Ce sont des polyvitamines. Je ne sens rien de particulier sinon que mon corps se sent mieux ».

Yoshizo Machida dirige l’entraînement. Il y a là Lyoto, Chinzo et quelques élèves, dont un Français qui vit à Manaus et qui fait régulièrement le déplacement (2h d’avion) pour venir s’entraîner à la Machida Academia. « Yoshizo Senseï est un grand pédagogue », raconte Marcel Arbona-Oliver. « Il est pointu au niveau de l’analyse du combat et du Karaté. Il ne faut pas oublier qu’il a fait de Lyoto un champion régional de Kata avant que celui-ci ne s’oriente vers le combat. Lyoto nous fait une grande faveur : il est l’un de ceux à l’UFC qui prend le moins de coups. Les autres combattants, c’est un peu à celui qui va en encaisser le plus et tenir le plus longtemps. La manière dont il rentre dans la cage, la façon dont il combat, posément et calmement… C’est un exemple pour nous tous ! ».

Le combat, « un moment qui n’appartient qu’à moi »

Un exemple d’humilité et de discrétion, qui préfère l’ombre à la lumière. Dans le peu de temps libre qu’il s’octroie, il adore profiter de sa famille, de sa petite fille d’un et demi. Les moments qui lui sont propres ? « Quand je lis. J’ai toujours un livre avec moi même si, en préparation, j’ai beaucoup moins de temps. J’aime les biographies des champions. J’apprends toujours quelque chose. Je m’aperçois que le chemin qui mène à la réussite est toujours le même : il faut travailler et souffrir beaucoup. J’ai aussi lu « L’art de la Guerre » de Lao Tseu ou aussi « Le Traité des Cinq Roues (Gorin no sho) » du Samouraï Miyamoto Musashi. Ce que j’ai compris dans Musashi ? La force de l’esprit, cette envie de gagner. Il ne remportait pas ses duels uniquement avec son talent. Il savait qu’il avait des faiblesses mais il arrivait à se surpasser grâce à sa force mentale ». Même lors de son temps libre, l’homme ne perd pas son temps… Tant qu’il sera professionnel, toutes ses pensées seront orientées vers un unique objectif : le combat, « un moment qui n’appartient qu’à moi ». Un instant qu’il rend unique.

 MG 8623 OK

« Mon entraînement »

Lundi et mercredi

« Je me lève à 5 h. Je m’entraîne en Karaté de 6 h à 8 h. Je termine la séance au sac. Puis, avec mon frère Chinzo et parfois mon père, on regarde des vidéos de combat. De 10 h 30 à 12 h 30, je m’entraîne en Jiu Jitsu. Je rentre chez moi, fais une sieste et je reviens vers 18 h pour une séance d’1 h 30 de musculation. »

Mardi et jeudi

« J’arrive au club vers 9 h 30. Je fais du sparring, en JJB et en MMA de 10 h à midi. Déjeuner, sieste et je reviens vers 17 h soit pour une séance de musculation, soit pour un entraînement technique en Karaté d’1 h 30. »

Vendredi

« Je m’entraîne souvent en Karaté avec mon père à 6 h. Je fais 1h30 à 2 h de sparring, assez relâché. Je stoppe à midi. En fin d’après-midi, je termine la journée par 40-45 minutes de préparation physique spécifique au combat. C’est une séance dynamique et très intense. »

Samedi

« C’est la journée consacrée au footing et aux étirements musculaires. Je cours 1h et je travaille ma souplesse afin d’optimiser ma capacité de réaction. »

 MG 8442

Extrait de l’article paru dans Karaté Bushido n°384 (mai 2010)