Les arts martiaux étaient sa destinée familiale. Il a pleinement assumé l’héritage. Yoshinao Nanbu, parti sous d’autres cieux la semaine passée, est arrivé en France en 1964 comme champion du Japon de Karaté. Formé au formé au Judo, au Kendo, au Bo et au Iaïdo, il sera un magnifique combattant avant de concrétiser ses perpétuelles recherches en créant le Sankukaï, puis le Nanbudo. Hommages de Dominique Valera, Jean-Pierre Lavorato, Serge Chouraqui et Jean Frenette.

Par Ludovic Mauchien

Photo : Denis Boulanger


Rares sont les personnes à faire l’unanimité. Yoshinao Nanbu était de celles-ci. Hormis sur les tatamis japonais et français dans les années 60, il ne s’est jamais départi de son sourire respirant la gentillesse et l’humanisme. Le son de sa voix et le flot de ses paroles étaient comme une douce mélodie martiale aspirant à l’harmonie.

A chaque fois que nous le rencontrions, au fil des années, il apportait toujours ses cahiers remplis de notes, de réflexions, de schémas. Certains étaient patinés par le temps, écrits il y a plus de 40 ans. Les plus récents n’avaient pas eu le temps de jaunir au soleil du Cap d’Ail, où il vécut de nombreuses années, ou de Paris.

Ils venaient d’être noircis de ses dernières réflexions, de ses ultimes recherches sur la « Voix de l’énergie », le Nanbudo, qu’il a fondé en 1978. Tous ses écrits, s’ils étaient rassemblés, constitueraient une extraordinaire thèse sur l’essence et la finalité de la pratique des Arts Martiaux, que Yoshinao Nanbu incarnait à merveille.

Il est né en pleine guerre mondiale, en 1943, à Kobe, l’un des centres névralgiques des arts martiaux japonais. Dans son éveil à la vie, il a connu le rationnement d’après-guerre, l’occupation américaine, l’interdiction de la pratique des arts martiaux… Lui, il a pu esquiver l’interdit grâce à la tradition familiale. Oncles, père, mère, tous experts ! Et de génération en génération. Son arrière-grand-père était Yokozuna, ses oncles hauts gradés en Kendo et en Judo (Me Togashi, 9e Dan), son père 5e dan de Judo et sa mère experte de Naginata.

Yoshinao Nanbu est formé au Judo, au Kendo, au Bo, au Iaïdo et au Karaté, voie qu’il choisira. A 16 ans, il reçoit sa ceinture noire des mains de son Senseï, Chojiro Tani, l’un des plus illustres grands maîtres du XXe siècle, lui-même formé par les légendaires Chojun Miyagi et Kenwa Mabuni. Bon sang ne sachant mentir, il s’avère être un formidable combattant et c’est en champion du Japon qu’il débarque en France en 1964 sur l’invitation d’Henry Plée.

Le Karaté hexagonal en est à ses balbutiements. Il va affronter et accompagner les pionniers français, Valera, Lavorato, Sauvin, Didier… vers les sommets. Il gagne d’abord leur respect sur le tapis et les entraîne au Dojo de la Montagne Ste-Geneviève.

Yoshinao Nanbu délaisse cependant la compétition pour laisser une plus grande place à la réflexion. Dès 1972, il crée le style Sankukaï, une école dérivée du Karaté Shukokaï, fondée par son maître. Dans sa quête martiale, telle qu’on lui a enseignée, il trace son chemin vers sa vérité. En 1978, il fonde le Nanbudo, « la Voix de l’énergie ».

« C’est amusant de réfléchir et chercher à optimiser l’utilisation et l’entretien de notre corps », nous racontait-il lors de l’une de nos rencontres (1). « Je fais des croisements entre mes connaissances et ma pratique. L’entretien du corps est comme un réseau routier. Vous commencez par connaître les autoroutes, puis les nationales puis les départementales. Plus vous avancez, plus votre expérience vous permet de devenir pointu. Il y a toujours du travail à effectuer pour améliorer les choses, même après tant d’années. Il faut bien s’amuser ».

S’amuser. C’est bien ainsi que Yoshinao Nanbu considérait son passage sur terre. Il avait fait de la vie une joie, une fête perpétuelle, un jeu qui ne vaut pas la peine d’être vécu si l’on ne prend pas de risque. A 20 ans, avec 200 dollars en poche, il part pour la France, fait des petits boulots pour rester. Il tombe amoureux du « French way of life ». Depuis, il n’aura cessé de cultiver son art.

Son œuvre, le Nanbudo, est aujourd’hui pratiqué dans plus de 40 pays. Nommé 9e Dan en 2008, Yoshinao Nanbu est passé du dur au doux, du yin au yang, au fil du temps et sa réflexion, explorant les différentes facettes de la pratique martiale. « La finalité ? C’est la vie ! Pas dans le sens vivre vieux, qui signifierai arriver à 120 ans. La vie, c’est vivre heureux, donc en bonne santé. Celle-ci n’a pas de prix. Aimons la nature, elle nous aimera. Et elle nous y invite. A travers l’entraînement, l’objectif est de trouver notre équilibre. Pour ce faire, il faut travailler l’énergie du corps avant toute chose, rejeter le négatif pour mieux appréhender le positif » (1). Yoshinao Nanbu s’est éteint à l’âge de 77 ans le 28 avril dernier. Osu !

 

TEMOIGNAGES

Dominique Valera : « le meilleur combattant de tous les temps »

« Pour moi, c’était le meilleur combattant de tous les temps. Non seulement il avait l’esprit mais il avait une technique, un corps qui s’adaptait à son esprit. Il pensait un enchaînement technique et, en même temps qu’il le pensait, il l’exécutait, ce qui lui permettait d’être toujours en avance par rapport aux autres. C’est ça le combat. Un dixième trop tard, c’est trop tard. Un dixième d’avance, tu peux orchestrer la situation favorablement. Il avait un sens inné du combat. Il est arrivé avec une coupe en brosse de 1 cm sur la tête. Avec ses yeux bridés, on avait toujours l’impression qu’il dormait, même en combat ! On croyait qu’il ne voyait pas les coups venir mais il les voyait très, très bien (rires). A la fin de chaque entraînement, il nous prenait un par un. Il n’a jamais fait le Japonais les bras croisés qui comptent Ichi, Ni, San… Non ! On passait dans ses mains chacun notre tour. C’était quelqu’un de bien ! ».

 

Jean-Pierre Lavorato : « un homme et un Sensei fantastique »

« Mon arrivée à la Montagne Ste-Geneviève coïncide avec celle de Yoshinao Nanbu. Il m’a donné des cours puis j’en ai donné avec lui. Quand j’ai été instructeur, je partageais même la chambre avec lui, au-dessus du Dojo. Il avait tout pour lui. Physiquement, c’était quelque chose ! Et techniquement, il était extraordinaire. C’était un combattant exceptionnel. Yoshinao était un homme et un Sensei fantastique, d’une gentillesse, d’une ouverture d’esprit, d’une intelligence remarquable. Il nous apprenait des Kata Shito ryu et nous, on lui apprenait des Katas Shotokan. C’est quelqu’un qui était en perpétuelle recherche, qui aimait inventer des choses. C’est tout à fait lui d’avoir créé le Sankukaï puis le Nanbudo ».

 

Serge Chouraqui : « l’image du karatéka exemplaire »

« Yoshinao Nanbu, c’est la génération juste avant moi. J’ai participé à un ou deux stages avec lui. C’était un sacré combattant. Il avait des idées extraordinaires. Pour l’époque, c’était tout à fait nouveau, au niveau des accélérations et des balayages notamment. Il a été un précurseur au niveau de la compétition. Il avait la vitesse et la souplesse d’exécution, liée à une intelligence du combat. En plus, ce qu’il faisait était très esthétique. C’était un sacré client. Il fallait y aller avec toutes tes armes. Sur le plan humain, c’était quelqu’un de très facile, très abordable, très sympa. Il te répondait toujours avec le sourire. Il n’avait pas cette image de maître intouchable. C’était quelqu’un d’humainement positif. C’était vraiment un exemple, l’image du karatéka exemplaire ».

 

Jean Frenette : « une référence tous les jours dans ma pratique » 

« Le décès de Maître Nanbu est une très lourde perte pour le monde des arts martiaux. C’est à l’âge de 10 ans, ayant un intérêt très vif pour le Karaté, que j’ai acheté mon tout premier livre sur l’art du Karaté et le hasard voulut que ce fut le Karaté Sankukai par Maître Nanbu. Ayant eu de multiples opportunités de participer à des stages offerts par Maître Nanbu en France et au Canada, les enseignements sur la pratique ainsi que la philosophie martiale de Maître Nanbu ont eu une énorme influence sur ma pratique et le développement tout au long ma carrière et encore aujourd’hui, il est une référence tous les jours dans ma pratique et mes enseignements. Que son âme repose en paix ».

 

(1)Voir Karaté Bushido n°376 daté de mars 2009