Faut-il tourner la page du Karaté olympique ? Probablement. Le circuit K1 ? Périmé. Les Mondiaux de Dubaï ? Annulés. L’arbitrage ? A changer. L’Open de Paris 2021 ? Nouvelles protections, nouveau concept. Le TQO en France ? Oui mais. Un circuit pro ? Sa vision du futur. Le président de la FFKaraté et vice-président de la WKF, Francis Didier, a retrouvé son franc-parler et ne manque pas d’idées. Bref, prosaïquement dit, il se lâche…

Par Ludovic Mauchien / Photo : Kphotos


 

Comment avez-vous réagi au report des JO en 2021 ?

On s’y attendait. Pour nous, c’était flagrant qu’ils allaient être reportés. Rien que le village olympique, c’est environ 20 000 personnes (10 500 athlètes plus leur staff). Et la pandémie se développe partout. Aujourd’hui, on attend des nouvelles pour savoir s’ils vont être annulés ou non.

Pensez-vous qu’ils vont se dérouler ?

C’est difficile de se prononcer à l’heure actuelle. La pandémie tourne avec un délai de 6-8 mois entre les pays. Chine, Europe, Etats-Unis, Amérique du Sud et, désormais, l’Afrique commence à être impactée. Selon Inside the Games et Around the Rings, le discours du CIO consiste à dire que si les Jeux doivent se dérouler en 2021, pas un athlète ne serait laissé derrière la porte.

De même, le Gouverneur de la préfecture de Tokyo, Mme Koike, a déclaré qu’une des conditions pour les JO se tiennent, est que les gens du monde entier puissent venir. Cela sous-entend qu’il faudrait avoir un vaccin.

Pour l’heure, Thomas Bach consulte et multiplie les visioconférences. Il suivra la décision prise par les comités olympiques de chaque pays. Une cession du CIO est prévue le 17 juillet. On peut s’attendre à ce qu’il y ait des décisions d’annoncées, même si Pierre-Olivier Beckers, l’un des membres du CIO, a affirmé que la décision serait prise au printemps 2021. Mais cela me semble tardif. Je pense qu’on le saura avant la fin de l’année.

L’aspect économique est aussi à prendre en compte…

Bien sûr et cela va aussi dans le sens d’une annulation. Pour les Japonais, ce serait terrible. Ils se sont battus pour avoir les Jeux. Mais, au-delà de l’aspect économique, il y a aussi leur culture. Ils ne pensent pas comme nous. Ils ne laisseront pas entrer sur leur territoire de possibles problèmes de contamination. Impossible ! Leur comportement avant le virus était déjà le même. Regardons-les dans le métro. Ils portent un masque pour protéger l’autre. Nous, les Européens, on en porte un pour se protéger nous. C’est une vision différente.

« LES MONDIAUX NE SONT PAS REPORTES. ILS SONT ANNULES »

Si les Jeux ne se déroulent pas en 2021, dans l’esprit, cela relancerait peut-être le Karaté pour Paris 2024…

Il faut déjà que le COJO revoit sa carte. Avant la pandémie, on était dans une situation financière faste. Désormais, il va falloir réduire la voilure. Exemple : comment une entreprise comme Air France-KLM pourrait subventionner les JO de Paris alors qu’ils viennent de contracter 7 milliards d’emprunt ? Ils pensent plutôt à remettre la machine en marche et rattraper ce qui a été perdu avant de financer quoique ce soit. Il faut absolument réduire la voilure. Pour ça, je peux leur donner un coup de main (rires).

Un budget restreint ne serait forcément pas à l’avantage du Karaté…

Je dirai au COJO que le Karaté ne coûte pas cher (rires). Il ne coûte même rien. Il n’y a pas besoin de bâtiment spécial, etc. Mais, effectivement, cela peut changer la donne pour l’ensemble du projet. Avoir la grande fête dans la rue… S’il y a un vaccin, oui, mais le temps passe vite. Sinon… En tout cas, Ce serait mes propositions à Tony Estanguet sachant que le Karaté rentre dans une nouvelle voilure.

Venons-en justement au Karaté. Pour l’heure, la WKF a annoncé 2 compétitions pour 2020-2021 : les Championnats d’Europe et Rabat pour la qualification olympique. Quid des Mondiaux de Dubaï reportés ?

Ils ne sont pas reportés. Ils sont annulés. Le général Nasser (président de la fédération des EAU) nous a communiqué la décision de son gouvernement qui ne veut pas organiser ce championnat avec 120 pays présents. Personnellement, je dis qu’il faut un plan B parce que c’est un titre qui s’en va.

Que proposeriez-vous ?

Vous pouvez parler au passé composé. J’ai proposé. Si on part du principe que Tokyo 2021 ne se déroulera pas, il faut redonner de l’élan à des championnats du monde ou d’Europe, des coupes du monde ou… Inventer un modèle.

J’ai suggéré d’organiser les Championnats du monde en août 2021, à un moment où il n’y aura pas d’actualité. Mais, pour l’instant, la WKF parle de novembre 2021. Je n’ai pas le pouvoir de décision mais ce ne serait pas ma stratégie.

« LE CIRCUIT K1 EST MORIBOND CAR IL EST MOINS ATTRACTIF »

On a aussi l’impression que le circuit Karate 1 est moribond…

Ce n’est pas une impression. Il est moins attractif. C’était déjà en cours avant la pandémie. J’ai discuté avec les autres collègues qui organisaient des Ligues 1 (Premier League). J’ai dit au président Espinos, lors d’un bureau, qu’il fallait faire attention. Les membres pensent que les compétiteurs ont très envie de « compete ». Oui, très bien mais, à un moment, il faut aussi voir le plan de financement. Je m’explique.

Début 2020. Nous sommes olympiques, nous avons sept Ligues 1 dans le monde. A Paris, on était full avec presque 750 compétiteurs. A Dubaï, 15 jours après, c’est descendu à 560. Puis à Rabat, il y avait 320 inscrits. Pourquoi ? Parce que les athlètes qui étaient trop loin au ranking se concentraient sur le TQO et leurs fédérations ne voulaient pas dépenser de l’argent pour rien.

Août 2020. Etant donné que les points ne comptent plus pour la qualification olympique, pourquoi prendre une Ligue 1 entre septembre et décembre ? Et surtout avec les nouvelles conditions : 32 athlètes par catégorie (au lieu de 64), une inscription qui passe de 75 à 100 €. On augmente le prix et on réduit le nombre de participants : les organisateurs se disent que c’est trop risqué.

Que préconisez-vous ?

Il ne faut pas augmenter le prix mais le diminuer ! Comme on n’est plus olympique, il va y avoir un problème de subsides et de sponsors. Prenons juste l’exemple du Japon. L’an passé, ils sont restés 3 mois au CREPS avec 40 compétiteurs et ils payaient tout. J’ai depuis discuté avec les Japonais qui me disaient que c’était catastrophique. Ils retournaient 3 ou 4 ans en arrière. Les sponsors se désengagent et c’est quelque chose qui va se passer pour tous les pays.

Les organisateurs de SeriesA sont plus nombreux à poser leur candidature. Les prix d’entrée sont très bas et ils font 1200-1300 compétiteurs. Donc, celui qui est chef d’entreprise va prendre une SerieA, pas une Ligue 1 qui coûte cher.

Effectivement, c’est juste de dire que les compétiteurs ont envie de « compete ». Il faut donc leur donner une chance beaucoup plus libérale et économique de le faire.

« IL NE FAUT PAS AUGMENTER LE PRIX DE L’INSCRIPTION MAIS LE DIMINUER ! »

La première chance, ce sera l’Open international de Paris en janvier prochain ?

Avant la pandémie, j’avais déjà annoncé au président Espinos que je ne ferai plus de Ligue 1, en lui expliquant ma théorie. L’Open international de Paris a toujours eu du succès car on est un bon prestataire de service. Donc, on baisse les droits d’inscription de manière drastique et on augmente encore la prestation pour tous les compétiteurs : la Catherine, la cafeteria, etc. Je cherche des financements pour apporter du service. Les compétiteurs vont forcément venir.

En 1993, j’avais proposé à Guy Sauvin et Jacques Delcourt de remplacer les Internationaux de France qui, pour moi, étaient trop restrictifs, par l’Open international de Paris. C’est à nouveau l’idée. Je suis plus dans la logique d’une compétition de masse.

« ON DIRAIT QU’ILS PRENNENT PLAISIR A DONNER DES PENALITES ! IL FAUT CHANGER LES MENTALITES »

Le règlement de compétition sera-t-il différent ? Verra-t-on le « Karaté du 21e siècle » ?

Je rappelle que j’ai déjà amené les protections rouges/bleues, les protections de pied… Je vais essayer d’amener encore autre chose. J’ai fait développer de nouveaux gants, pour éviter les saisies et, surtout, protéger le pouce. Pour les pieds, j’ai fait rajouter une semelle et supprimer l’élastique. Cela va mieux protéger les doigts de pied et les athlètes n’auront plus besoin de le remettre tout le temps. L’idée est de gagner du temps et d’éviter au maximum les pénalités. Il y a deux visions : soit on continue à augmenter les pénalités, soit on trouve un système qui pallie au déficit du règlement.

Le règlement, donc l’arbitrage, serait-il un frein pour rendre le Karaté plus attractif ?

Tout-à-fait. Et même sans parler de changer complètement les règles, on peut déjà modifier certaines choses. Vous avez vu la gestuelle des arbitres quand ils donnent une pénalité ? C’est très violent. On dirait qu’ils prennent plaisir à les donner !

Une image : l’arbitre central « gueule » pour stopper le combat, puis il retourne au centre, il fait une gestuelle incompréhensible pour le grand public afin de demander l’avis des autres juges pour savoir s’ils sont en accord avec la pénalité. Puis il fait une nouvelle gestuelle pour donner la pénalité. Cela prend 15 secondes ! Imaginez le temps perdu s’il y en a 5 ou 6 !

Souvenons-nous de la finale des Championnats du monde à Madrid entre Horne et Ganjzadeh. Cela a duré 10 minutes !!! Dans tous les sports, la décision est prise immédiatement, on sépare les athlètes et ça repart.

Autre exemple : l’athlète tombe et, en se relevant, il touche la ligne d’un millimètre. Comme il avait déjà des pénalités, il est disqualifié. Comment allez-vous expliquer au public qu’il a glissé et, qu’en se relevant, il n’a pas fait attention et que son adversaire est plus fort puisqu’il a gagné ? Des trucs comme ça, il y en 150. Tu donnes un coup de pied dans le vide : certains comptent, d’autres pas… Aujourd’hui, la réglementation n’est pas sportive, alors qu’elle devrait l’être, elle est d’autorité.

« SI ON ARRIVE A CONVAINCRE LE PEUPLE, C’EST LUI QUI FAIT CHANGER LA REGLE »

Vous abordez les gênes du Karaté : un arbitre est un prof, un Senseï dans son pays. Il se comporte comme tel avec les athlètes. N’est-ce pas le plus grand chantier à mener ?

Bien sûr. Aujourd’hui, il y a 350-400 arbitres présents. C’est trop ! Si tu veux un circuit professionnel, il faut des arbitres professionnels. Tu prends les meilleurs. Il y a donc un impact économique et aussi un impact de représentation. La politique de l’arbitrage fait qu’un arbitre mondial, dans son pays, est vu comme un maître de Karaté. Il faut changer les mentalités, leur faire comprendre qu’ils sont au service des athlètes. Il faut aussi faire des tests physiques, On ne peut pas avoir des arbitres qui ont pris le « gros bide 19 » pendant le confinement (rires). Comme dans tous les sports, il faut qu’ils aient une condition physique irréprochable.

Changer les mentalités, c’est possible ?

(Rires) Bah… Il va falloir faire beaucoup d’efforts. Si on arrive à convaincre le peuple… C’est toujours lui qui fait changer la règle.

Comment voyez-vous l’évolution du Karaté sur les 3-4 ans à venir ? Faut-il prendre un nouveau départ ?

Je serai dans cette vision. Il faudrait créer une ligue professionnelle. Cela existe dans tous les sports. Mais celle-ci ne peut pas s’organiser sans que la fédération internationale ne soit impliquée. On pourrait avoir un circuit pro, des opens internationaux avec une réglementation spécifique, qui seraient dédiés à avoir de la communication, de l’intérêt, des spectateurs. Il faudrait aller dans ce sens.

Comment fait-on pour avoir une vision ? C’est important de comprendre qu’il ne faut pas rester focalisé sur un problème. Il faut fermer la page, ne plus en parler et s’occuper de l’avenir. Mais tant que tu n’as pas fermé la page, tu ne peux rien voir, tu es aveugle parce que tu es toujours focalisé.

« ON POURRAIT AVOIR UN CIRCUIT PRO AVEC UNE REGLEMENTATION SPECIFIQUE »

Vos propos laissent à penser que vous réfléchissez à un concept de circuit avec d’autres fédérations…

Il faut laisser faire les choses, laisser le libre-échange. Si un projet doit voir le jour, je me positionnerai plutôt comme conseil dans l’organisation du système entier. Il pourrait y avoir plusieurs opens dans différents pays. Regardez, il existe l’Open de Turquie, celui de Rotterdam… Aux Etats-Unis, il y a déjà Las Vegas. On pourrait en créer un en Angleterre, ou ailleurs.

La France est-elle toujours candidate à l’organisation du TQO ?

Tout est remis à zéro. Normalement, le TQO se déroulera les 11-12-13 juin 2021. On peut toujours l’organiser mais pas aux conditions actuelles. Il faut réduire les coûts. Si ce n’est pas le cas, il faudra trouver quelqu’un d’autre.

On devait le faire à Bercy les 8-9-10 mai derniers. C’était un week-end férié. On avait préparé une fête (orchestre, spectacle…). C’est annulé. L’Arena a remboursé les billets, ce qui est un acte fort. On en avait déjà vendu près de 8000. Mais, en 2021, on va avoir d’autres priorités économiques.

Vous paraissez moyennement motivé…

Je suis motivé pour l’organiser pour les athlètes, et je peux l’organiser dans une prétention beaucoup plus réduite, à Coubertin par exemple. Dans la construction, le TQO n’est ni plus, ni moins qu’une Ligue 1. Cela représente 620 compétiteurs et 4 tatamis. On parle de réduire la voilure économique. Tout le monde doit le faire. On ne doit pas engager le pays Karaté dans une dette.

 

Voir aussi (pour le retour en club en France) : https://www.karate-k.com/fr/sport/actus/696-francis-didier-il-faut-toujours-avoir-un-plan-b-ou-un-plan-c.html