Il les appelle Iry et Lika. Il les connaît depuis 2005. Lune avait 9 ans, la deuxième 13 ans. Irina Zaretska et Anzhelica Terliuga sont aujourdhui n°1 mondiales et en course pour la médaille dor olympique. Il, cest Denys Morozov, entraîneur du Niza à Odessa.

Ancien compétiteur, entraîneur très jeune, lUkrainien est le seul à avoir qualifier aux JO 2 athlètes de son club, quil a lui-même formées et quil coache toujours. Tout sauf un hasard. Ce passionné de Karaté possède sa méthode bien à lui, forgée au fil des années. Il nous la dévoile à travers la préparation pour les Jeux des deux championnes.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


Il a appelé son club Nika, du prénom de sa fille, qui signifie Victoire en grec ancien. Sa fille, championne du monde Shotokan, aurait d’ailleurs peut-être disputé les Jeux si elle n’avait pas arrêté le Karaté il y a 6 ans pour devenir mannequin à Milan. Ses espoirs reposent sur son fils, qu’il entraîne avec Anzhelica Terliuga et Irina Zaretska.

A 42 ans, Denys Morozov est un entraîneur comblé. Il sera définitivement heureux si « les filles », comme il les appelle, deviennent championnes olympiques aux JO de Tokyo dans quelques jours. Anzhelica Terliuga est n°1 mondiale et n°2 olympique des -55 kg. Irina Zaretska est championne du monde (-68 kg), n°1 mondiale et n°1 olympique des +61 kg. Elles partent toutes les deux en favorite pour la médaille d’or.

Leur autre point commun est d’avoir commencé le Karaté en même temps, en 2005, dans le même club, à Odessa, avec le même prof, Denys Morozov. Elles avaient alors respectivement 13 et 9 ans. 16 ans plus tard, elles suivent toujours son enseignement. Qui est Denys Morozov ?...

 

SON KARATE : « IL DOIT Y AVOIR UNE CONFIANCE TOTALE ENTRE L’ENTRAÎNEUR ET L’ATHLÈTE »

 J’ai commencé le Karaté en 1990 avec Alexander Viktorovich, un grand entraîneur qui m’a inculqué toutes les qualités que je possède et que j’essaie de transmettre à mes élèves.

Chaque dimanche, il nous donnait des cours théoriques, nous disait comment vivre correctement, nous lisait des livres, nous donnait des expressions de sagesse. Nous discutions de différents sujets. Ce que j’en retire est certainement ma devise principale : ne jamais reculer et ne jamais abandonner.

C’est ce que j’inculque à mes élèves. Il est nécessaire de s’entraîner dans un but précis. Si vous avez choisi un sport comme activité principale, vous devez aller jusqu’au bout.

Il ne nous parlait pas directement mais je considère que c’est le secret de ma réussite : « Un vrai champion ne fume pas et ne boit pas. Vous ne gagnerez que si vous suivez certaines règles. Vous serez une personne honnête et polie ». Cela a impressionné ma psyché d’enfant. Je pensais avoir appris un secret que personne ne connaissait.

Quand j’ai commencé à gagner des tournois, j’ai réalisé que ce n’était pas en vain que je dépensais autant d’énergie à l’entraînement, cela m’avait donné confiance en mes capacités. Et on commence alors à se rappeler pourquoi cela arrive. C’est dû au fait que vous avez un mode de vie sain, une bonne nutrition, la bonne attitude envers les gens. C’est ma devise. Et j’essaie d’inculquer ces valeurs à mes élèves.

Je suis très mécontent lorsqu’un de mes élèves boit ou fume. Il doit y avoir une confiance totale entre l’entraîneur et l’athlète. Si on me trompe, je ne pardonne pas. Les filles le savent. Et les conflits que nous avons eus étaient dus à des violations du régime.

Maintenant que nous nous sommes qualifiés pour les Jeux olympiques, elles ont compris que j’avais raison. Plus personne ne viole le régime. Même lorsque j’ai proposé de boire du champagne pour la qualification aux Jeux, les filles ont refusé.

 

LA METHODE GAGNANTE : « J’ESSAIE DE TROUVER UN LIEN ENTRE LE PASSÉ ET LE PRÉSENT »

 J’ai commencé à 18 ans en aidant mon professeur. En 2000, j’ai créé le Club Olympique avec 2 autres personnes. Ce qui me distinguait des autres entraîneurs était que j’étais toujours athlète. Lorsqu’on s’entraîne avec ses athlètes, on ressent ce dont ils ont besoin, on voit mieux les choses.

En sparring, j’essaie parfois d’apporter ce dont l’athlète a besoin pour développer la confiance en ses capacités ou, parfois, je travaille à pleine puissance, pour développer le caractère et la volonté. J’ai toujours eu une approche psychologique dans l’entraînement. Je continue avec Anzhelika Terliuga et Irina Zaretska.

Mon approche a été différente des autres entraîneurs. J’ai voyagé dans les grandes compétitions internationales avec une caméra vidéo et filmé les combats des meilleurs athlètes du monde. Quand je suis revenu à Odessa, j’ai dit à mes athlètes : « Oubliez ce que vous avez appris, nous allons travailler d’une nouvelle manière ».

J’ai suivi les nouvelles tendances du karaté mondial et je les ai introduites dans le processus d’entraînement. A un moment, les Iraniens montraient des techniques de jambe fantastiques, Biamonti des balayages et projections superbes. Rafael Aghayev, lui, a changé la vision de tout le monde lorsqu’il a commencé à projeter et à intercepter en clinch. Il a montré une approche complètement différente de la technique, de la puissance, de la concentration.

Pour chaque année, je peux nommer un athlète qui a influencé le développement du karaté mondial et mes principes d’entraînement : Wayne Otto, Alex Biamonti, Junior Lefebvre, Rafael Aghayev, l’équipe nationale iranienne… Aujourd’hui, je suis très impressionné par l’Egypte et le Maroc, qui ajoutent constamment des innovations dans leur approche de l’entraînement.

J’évalue, je synthétise et je développe des méthodes. Ma particularité est de ne pas copier aveuglément les principes de quelqu’un, mais de prendre le meilleur et de l’adapter à mes athlètes. Je suis en constante réflexion et évolution, à la recherche de quelque chose de mieux.

Les qualifications olympiques d’Iry et de Lika sont le produit de mon système d’entraînement, qui est difficile à reproduire. C’est mon intuition, ma vision de ce qui se fait de mieux au moment T. A toutes les grandes compétitions, je suis à la salle dès le matin. J’engrange des informations, de nouvelles idées. C’est ainsi que je progresse.

Le plus important réside dans les détails. Je me sens comme un athlète très expérimenté. Avec l’âge, je deviens plus sage, plus expérimenté. J’ai une grande vidéothèque, j’essaie de trouver un lien entre le passé et le présent, j’essaie de trouver un style invincible qui nous aidera à remporter la médaille d’or olympique.

 

TERLIUGA ET ZARETSKA ENFANTS : « LES FILLES DISENT QUE LE KARATÉ EST LEUR VIE, C’EST LE CAS »

Odessa team zaretska jeune

Devinez qui tient le tee-shirt ? La championne du monde Irina Zaretska. Elle avait alors 10 ans. Et devinez qui est la 3e en partant de la droite (au fond) ? Anzhelica Terliuga à 14 ans.

 

Jusqu’en 2010, j’avais beaucoup de combattants très forts au club. Ni Lika ni Iry Zaretska n’étaient les plus fortes d’entre elles. Les premières générations étaient vraiment fortes et ont fait de grands résultats. Lika et Irina étaient des athlètes prometteuses.

Nous allions à un grand nombre de tournois internationaux une ou deux fois par mois. L’équipe a grandi très vite, comme des champignons après la pluie. Le niveau de certains athlètes devenait si élevé qu’ils voulaient participer à des tournois WKF. Lika et Iry étaient les premières à vouloir.

Pour se préparer à de telles compétitions, nous devions nous entraîner plus sérieusement. Les filles ont accepté de s’entraîner tous les jours et même deux fois par jour, pas les autres. Ce fut le début de la destruction de mon équipe. Beaucoup d’athlètes, et dans une large mesure leurs parents, n’aimaient pas le fait que j’en fasse plus avec certains athlètes. Ensuite, j’ai perdu presque toute l’équipe. Seuls ceux qui ont décidé de consacrer leur vie au karaté sont restés. Et quand les filles disent dans leurs interviews que le karaté est leur vie, c’est vraiment le cas. Pour moi, le karaté c’est aussi toute ma vie.

Je comprends leur humeur : consacrer tant de temps, faire tant d’efforts et ne pas gagner de médaille d’or, ce ne serait pas notre chemin. La vie m’a appris ceci : si vous faites beaucoup d’efforts, vous devez atteindre l’objectif.

 

DUBAÏ 2020 : « J’AI FAIT LE TOUR DE L’HÔTEL AVEC UNE EXPRESSION UN PEU FOLLE SUR LE VISAGE »

 À Dubaï, lorsque Lika a remporté sa demi-finale et s’est qualifiée, j’ai eu une explosion émotionnelle irréelle. Je l’ai félicitée. Mais Iry n’avait pas encore obtenu son ticket. Elle l’a fait le lendemain. Après avoir atteint les demi-finales, elle a fait les comptes et m’a dit : « c’est bon ! ». La joie était double !

J’ai fait le tour de l’hôtel avec une expression un peu folle sur le visage, et je montrais à tout le monde « deux » avec mes doigts, pour deux qualifications. Tout le monde comprenait et me félicitait sincèrement.

2020 a été une grande réussite car nous avons réalisé ce que les autres rêvent de réaliser toute leur vie : mes deux meilleures élèves sont montées sur le podium de toutes les compétitions auxquelles elles ont participé, sauf une.

Ensuite, les JO ont été reportés. Mais il y avait un point positif : cela nous donnait plus de temps pour se préparer : faire attention au physique, développer de nouvelles idées et soigner les blessures. En 2019, la course avait été tellement folle pour la qualification, il n’y avait tout simplement pas de temps pour s’entraîner.

Bien sûr, nous avons de grands espoirs pour les Jeux olympiques. Nous avons un plan d’entraînement bien pensé, des séances quotidiennes et les filles sont très motivées et professionnelles dans tous les aspects du travail, y compris sur elles-mêmes : entraînement physique, nutrition... C’est donc facile pour moi, en tant qu’entraîneur, je n’ai pas besoin de persuader qui que ce soit.

 

ANZHELICA TERLIUGA : « ELLE TRAVAILLE À L’INTUITION ET AU RESSENTI, SUR L’INSTANT T »

 Anzhelica a réussi à trouver son style et, jusqu’à présent, personne n’a pu déchiffrer et contrer. Certains essaient mais ne comprennent toujours pas. Il n’y a pas de lois ni de règles. Elle travaille à l’intuition et au ressenti, sur l’instant T. Comme cela ne s’explique pas mécaniquement, c’est impossible à entraîner. Ce sentiment est la qualité d’une personne qui a travaillé dur à l’entraînement et aux compétitions pendant des années. On parle de centaines de tournois auxquels elle a participé dès son plus jeune âge, apprenant à se dépasser. Tous ces composants lui ont donné des qualités qui ne s’entraînent pas. Ce sont juste des qualités qu’elle possède. Et c’est la même chose avec Irina.

Lika a des qualités humaines qui se superposent au karaté. C’est une fille très profonde. Si nécessaire, elle peut aller au conflit. Si vous lui dites quelque chose en criant, elle va crier aussi, peu importe le nombre de personnes présentes.

Elle aime défendre ses droits et ne se tait jamais lorsqu’elle voit l’injustice. Elle a une grande impudence, comme Odessa je dirais.

Rentrer dedans, négocier, calmer le jeu, ajuster le tir. Elle le fait sur le tatami comme dans la vie. Elle s’adapte facilement aux changements de situation et fait facilement face aux difficultés.

Intuition, préservation de soi, technique idéale - ces composantes ont donné une symbiose d’unicité difficile à étudier. Certains athlètes essaient de profiter de ses faiblesses, mais nous ne restons pas à rien faire : nous cherchons les moyens de devenir invincibles.

Il y a eu des questionnements sur sa préparation physique - elle était fatiguée et faisait des mouvements inutiles. Mais la préparation physique influence le nombre de coups. Nous avons travaillé dur dans ce sens car il est très difficile de supporter une telle durée d’entraînement et de compétition. De nombreux athlètes s’effondrent physiquement. Je pense que nous avons toujours une longueur d’avance sur nos rivaux. Ils trouvent quelque chose, mais nous trouvons une réponse à la leur.

Anzhelica a le sens du moment présent, qu’elle utilise parfaitement en combat. De plus, elle commence toujours ses combats de manière volontaire. Elle attaque et prend des risques. Parfois, Lika propose des techniques qu’elle n’a pas encore travaillées. Elle peut trouver la clé, le moyen de sortir d’une situation très difficile. De telles qualités ne sont pas entraînées. Mais aux JO, il faudra trouver un équilibre entre les qualités qu’elle possède et l’improvisation.

Bien sûr, pour elle comme pour Irina, nous devons atteindre leur pic de forme aux JO. Si, au cours du combat, l’improvisation ne suffit pas, elle doit disposer d’un large arsenal de techniques à utiliser à tout moment. Nous devons travailler cet arsenal autant que possible.

 

LA PREPARATION OLYMPIQUE : « J’AI PRIS EN COMPTE LEUR ÉTAT DE FORME »

Elle a été effectuée en fonction de divers facteurs, principalement l’état de forme. Si elles avaient besoin de repos, il fallait leur en donner. Je vois parfois des choses, parfois Lika ou Iry s’expriment. Parfois, je ne vois pas et je n’entends pas. Nous cherchons des voies. C’est la première fois que nous sommes en préparation pour les JO. Pour la planification, j'utilise les connaissances d’autres sports. Bien sûr, je prends et j’utilise ce que je trouve de mieux pour Anzhelica et Irina.

J’ai pris en compte leur état de forme. Nous nous entraînons généralement une fois par jour. Quand il n’avait pas de compétitions, nous avons davantage travaillé sur l’aspect physique, en soignant des blessures. Nous sommes prêts à aller au bout de l’aventure et à remporter la médaille d’or olympique.

 

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