Dès sa 1ère interview dans la foulée de sa médaille d’or conquise le 5 août, le Français Steven Da Costa n’a cessé de plaider pour la présence du Karaté à Paris en 2024. Réaction d’Estanguet, déclaration de la Ministre des sports, mobilisation d’élus… La presse s’empare du sujet. La quête olympique du Karaté reprend. Y a-t-il encore des raisons d’espérer ?

La réponse objective, et même officielle depuis ce matin samedi 14 août via le CIO, c’est non. Mais il y a tout de même encore quelques (petites) raisons d’espérer, ce qui en donne pleins (des raisons) pour ne pas baisser ni les bras, ni la garde. Retour sur une folle semaine.

Par Ludovic Mauchien


Verra-t-on le Karaté à Paris aux JO de 2024 ? La décision prise par le COJO en février 2019 de ne pas l’inclure dans le programme est apparue tellement surréaliste, injuste, illogique, qu’elle a suscité une frustration, un sentiment d’être cocufié, finalement générateur… d’espoir. Si, si !

C’est tellement impossible, improbable que cela ne peut pas être et crée un rêve fou : faire revenir le CIO et le COJO sur leur décision. Mais, pour l’heure, le fait est. Et l’est même bien depuis ce matin, 14 août, où le CIO s’est exprimé via son directeur des sports dans un entretien à l’AFP. « La porte est effectivement fermée pour le karaté », a confirmé Kit McConnell. « Le but est de donner à tous des certitudes le plus tôt possible, donc aucun changement n’est possible depuis l’an dernier (Ndlr : le programme a été acté par le CIO en décembre 2020) ». Le débat est clos, point final, en toute logique. Quand on connaît le fonctionnement du CIO, l’approche du COJO et la réflexion qui les a menés à prendre cette décision, Paris, c’est fini.

Pourtant, sans faire preuve d’un optimisme béat, il reste quelques raisons d’espérer. L’espoir est (très) mince mais, à cœur vaillant, rien d’impossible. Par contre, chose certaine, pour que l’essai soit transformé, il va falloir faire le boulot et pas dans une logique 35h.

 

LES FAITS

Jeudi 5 août. Steven Da Costa remporte la médaille d’or des -67 kg. Sur le podium, il lève le poing à la Tommie Smith aux JO de Mexico. Dès sa 1ère interview sur France TV, le Français lance un subtil : « j’espère toujours que le karaté puisse être à Paris 2024. J’aurais aimé aller y chercher une médaille ». La presse française relaie et s’empare du sujet.

 

Dimanche 8 août. Interrogé en conférence de presse sur le sujet, Tony Estanguet, président du COJO Paris 2024, répond : « Je ne regrette pas […] Il y a déjà 5 sports de combat. On va chercher des sports que les jeunes regardent, qui cartonnent sur les réseaux sociaux […] On pense que les sports choisis permettent de cocher des cases aujourd’hui non cochées ». Une réponse maladroite, une erreur de com’, qui met le feu au poudre et déclenche l’ire sur… les réseaux sociaux.

De son côté, Steven Da Costa est nommé porte-drapeau de la délégation française pour la cérémonie de clôture des Jeux, sur demande de la Ministre des sports, Roxana Maracineanu. Geste très symbolique qui donne une exposition médiatique sans précédent au Français et au Karaté.

 

Mercredi 11 août. Intronisé héraut du Karaté olympique, Steven Da Costa enchaîne les interviews et les passages télé. Il répond à Tony Estanguet. « Il ne se souvient plus d’où il vient ? Il est passé par là. Il sait ce que l’on vit » (Ndlr : en 2000, le canoë devait disparaître du programme olympique. Après une forte mobilisation, il a été réintégré et cela a permis à Estanguet de remporter l’un de ses 3 titres olympiques). Invité à Tout le Sport (voir l'interview), le champion olympique déclare : « On a un autre combat à mener désormais : Paris 2024 […] Quand on parle audience, on ne parle plus sport. On parle argent et on sort complètement de l’univers et des valeurs des Jeux olympiques ».

Parallèlement, la Ministre des sports apporte publiquement son soutien à Steven Da Costa et, par voie de conséquence, à la présence du Karaté aux JO 2024. « Je soutiens la démarche de Steven Da Costa. Ça vaut le coup d’écrire au moins au CIO », déclare-t-elle. Dans une interview au Parisien (voir l'article), elle affirme : « J’ai déjà discuté de la présence du Karaté à plusieurs reprises avec le COJO. Plusieurs nations ont également manifesté leur intérêt pour cette réintégration, comme le Japon où c’est l’un de leurs sports phares. L’intégration du Karaté serait un beau trait d’union entre Tokyo 2021 et Paris 2024.

Pour nous, toutes les médailles d’or sont importantes. Steven Da Costa a fait un super job à Tokyo. Il est frais, il est jeune, et c’est un super champion olympique. Il incarne la jeunesse, la simplicité et la modestie. J’ai été triste pour lui que ce soit probablement ses derniers Jeux olympiques. Si le Karaté était à Paris, je ne vois pas qui pourrait l’empêcher de remporter la médaille d’or. […] Le karaté est un sport qui compte beaucoup de licenciés. On a eu de très bons résultats au Japon, mais également dans les autres compétitions mondiales. Cela pourrait bénéficier à Paris 2024 ».

 

Jeudi 12 août. Le COJO Paris 2024 réagit officiellement via un communiqué de presse où il explique sa position et les raisons qui l’ont amené à ne pas inclure le Karaté à Paris. Il referme la porte. Extraits : « Paris 2024 tient tout d’abord à rappeler que, depuis décembre 2020, le programme des épreuves est définitif et ne pourra plus subir de modifications ».

« Pour les Jeux de Paris 2024, de nouvelles normes ont été édictées afin de limiter la dimension des Jeux. Les athlètes des nouveaux sports sont intégrés au quota global (10 500), et non plus dans un quota additionnel comme à Tokyo. En conséquence, le nombre de sports additionnels pour les Jeux de Paris est de 4 et non de 5, passant de 474 (dont 80 pour le karaté) à 232 ».

« Entre septembre 2018 et février 2019, Paris 2024 a rencontré 19 fédérations internationales qui ont chacune présenté leur projet pour l’inclusion de leur sport. […] 4 sports ont été sélectionnés. […] Un choix guidé par l’identité de ces sports jeunes, accessibles et connectés avec leur époque. […] En décembre 2020, le CIO a définitivement validé le programme officiel des Jeux de Paris 2024 ».

De son côté, Steven Da Costa en remet une couche sur Eurosport (voir l'interview) : « c’est triste. Au-delà de défendre mon titre, parce que ma médaille je l’ai et personne ne me l’enlèvera, c’est un combat pour les jeunes qui rêvent et pour toutes les générations futures qui retourneront dans l’ombre et n’auront jamais la chance de découvrir la magie des JO. Les sports amateurs ont besoin des JO pour connaître l’éclat médiatique, les sponsors et tout ce qui va avec. Aujourd’hui, c’est indispensable d’être aux JO. C’est une autre dimension, ça n’a rien à voir. Le retour en arrière va être dur. On ne mérite pas ça ».

 

Vendredi 13 août. Porte-bonheur ou porte-malheur, ce vendredi 13 août 2021 est la journée des lettres ouvertes à Tony Estanguet. La 1ère émane de la Fédération française de Karaté, signée de son président Francis Didier, « pour la présence du Karaté aux Jeux olympiques de Paris 2024 ». Extraits : « Le karaté est universel et rassembleur […] Il est jeune et populaire. […] En France, 57% des licenciés ont moins de 18 ans, 250 000 pratiquants se regroupent dans 5000 clubs. […] Le karaté est beau et spectaculaire. A Tokyo, le karaté a su séduire et fasciner au-delà des adeptes de la discipline. […] Le karaté français est historique et médaillé. […] En 2021 à Tokyo, le karaté a montré son plus beau visage. Il pourrait en faire de même en 2024 à Paris […] » (voir la lettre).

La seconde lettre ouverte est d’un poids politique conséquent. A l’initiative de Xavier Paluszkiewicz, député de Meurthe-et-Moselle, la patrie de Steven Da Costa, 114 parlementaires, de tout bord politique, signent la lettre. Extraits : « Après une 1ère introduction officielle en 2020, il serait difficilement compréhensible et supportable que le Karaté soit dépossédé de son statut « olympique » par la France, qui compte le premier champion des JO, titre qu’il ne pourra défendre […] Nous le devons pour les quelque 250 000 Françaises et français de toutes générations confondues qui pratiquent ce sport de combat en adéquation totale avec les valeurs olympiques et celles de l’esprit de Coubertin ». (voir la lettre)

 

Samedi 14 août. C’est une nouvelle douche froide qui réveille le monde du Karaté. Interrogé par l’AFP, le directeur des sports du CIO, Kit McConnell, confirme que rien ne changera et clôt le débat. Extraits : « La porte est effectivement fermée pour le karaté. […] Aucun changement n’est possible. […] Si les considérations étaient purement financières, nous choisirions des sports capables de remplir des stades de 80 000 places. […] « Séduire une audience plus jeune ». […] Les 4 sports choisis pour les JO-2024 apportent un véritable équilibre au programme olympique. À Tokyo, les sports collectifs et les sports de combat notamment étaient bien représentés, mais les sports plus urbains ont apporté une dynamique très différente par rapport aux sports traditionnels. […] Remporter une médaille d’or ne garantit pas la présence du sport dans l’édition suivante ». (voir l'interview) Fin de l’histoire. C’est désormais inscrit dans le marbre. Mais… Le marbre, cela se travaille, se polit, se (re)sculpte…

 

PARIS, C’EST VRAIMENT FINI ?

Soyons clair. Le Karaté aux JO de Paris 2024, c’est comme devoir marquer un Ippon à 1 centième du gong pour gagner. Impossible ? Harspatacki l’a fait contre Nishimura à Tokyo. Donc, c’est possible.

Certes, la réponse est aussi légère que la comparaison est difficile. Comme l’a dit Steven Da Costa, « sur un tatami, le résultat dépend de moi. Là, cela ne dépend pas que de moi… ». C’est là que bât blesse. Ni le COJO, ni le CIO, 2 grosses « machines », ne sont pour l’instant disposés à changer d’avis.

Pour ce faire, il va falloir que la mobilisation soit puissante, en nombre comme en qualité, au niveau national et international, du milieu sportif comme politique. Hajime !

 

Les raisons d’y croire

Il est frais, il est pétillant, il est sympa, il présente bien, il a une belle gueule, il est champion du monde, il est champion olympique. Le Karaté français et international a une nouvelle arme dans sa poche, le héraut qui lui faisait défaut : Steven Da Costa. Bien sûr, ses prises de parole seules ne suffiront pas à inverser la tendance mais ont déjà interpellé et mobilisé du monde. Reste à surfer suffisamment longtemps sur la vague.

Le savoir-faire et la qualité du spectacle démontrés à Tokyo. Même si tout n’a pas été parfait, le tournoi olympique plaide en faveur du Karaté, jugé sympa et télégénique par beaucoup de téléspectateurs.

Une porte peut être ouverte. A Tokyo, le CIO a profité des JO pour voter la modification de la charte olympique. Désormais, la commission exécutive (et non la session) peut exclure une discipline du programme par manque d’éthique, ce qui simplifie nettement la procédure. Si elle peut en exclure, elle peut en intégrer. 2 sports sont sur la sellette : l’haltérophilie et, à un degré moindre, la boxe. Si l’un venait à être exclu, cela libérerait des places. A suivre.

L’intervention militante de la Ministre des sports, Roxana Maracineanu, et la mobilisation de nombreux parlementaires montrent que l’absence du Karaté aux JO de Paris ne laisse pas insensible. Pour l’heure, cela ne suffit pas. Et s’il n’y avait pas d’antécédents comme le canoë en 2000 (pas de chance pour Estanguet), l’affaire serait pliée. Mais il y en a un.

Pour inverser une tendance, il suffit parfois de peu de choses, d’une étincelle, d’un éclair. Si la mobilisation s’intensifie et perdure, tout peut être permis. Rien n’est jamais gravé dans le marbre.

 

Les raisins du doute

La clé, un homme la possède, c’est le président du CIO, Thomas Bach. Depuis les JOJ en 2018, l’homme s’est fait un avis. Le Breakdance, il a adoré. Il a applaudi, battu la mesure, sourit. Il s’est éclaté en musique. Au Karaté, il s’est emmerdé. Défauts de l’organisation, erreurs d’arbitrage, manque de spectacle, il est resté sur sa faim. De plus, selon plusieurs sources concordantes, les rapports entre la WKF et le CIO sont plutôt frais, notamment entre les 2 présidents. Et le boss, c’est Thomas Bach.

S’il est convaincu que le Karaté doit être réintégré, il le sera. D’autant plus que c’est désormais la commission exécutive qui vote la présence d’un sport aux Jeux. Sur la centaine de membres que compte celle-ci, Thomas Bach en a nommé une soixantaine.

Et pour convaincre Thomas Bach dans un espace-temps aussi restreint, il va falloir agir vite et bien : analyser sans concession la compétition, voir ce qui peut être amélioré, faire des propositions… Bref, se mettre en ordre de marche à tous niveaux.

Thomas Bach, c’est le boss, c’est indiscutable. Mais si le vent du changement doit bien évidemment être accompagné à l’international, l’élan à ce jour ne peut venir que de la France. Le mouvement a commencé à prendre corps. Mais il est pour l’heure insuffisant, et incomplet. Le CNOSF ne s’est pas prononcé officiellement sur le sujet. C’est un signe.

Pour convaincre, le Karaté doit être aussi soutenu par le mouvement sportif. Certes, bon nombre de cadres techniques et de dirigeants de fédérations s’étonnent, voire s’indignent, de la situation mais, pour l’heure, le monde du sport français, ses champions emblématiques, n’ont pas affiché de soutien public au Karaté. Il est vrai que beaucoup collaborent au projet Paris 2024.