Avec 3 médailles d’or en combat (Steven Da Costa, Alizée Agier et Sophia Bouderbane) et une médaille de bronze (Alexandra Feracci en kata), la France termine 3e nation (mais 1ère au classement olympique) des 54e Championnats d’Europe organisés à Guadalajara, Espagne (28-31 mars). Dominique Charré, le Directeur technique national de la FFK, dresse le bilan et revient sur l’absence du karaté et, surtout d’explications, à Paris 2024. L’histoire n’est pas finie…

Par Ludovic Mauchien / Photo : Denis Boulanger / FFK


Quel bilan tirez-vous de ces Championnats d’Europe ?

Le bilan est bon puisque nous repartons avec 3 médailles d’or et que nous avons gagné 3 finales sur 3. C’est une très grande satisfaction. Nous avons moins de médailles que d’autres nations mais, nous, nous sommes dans un objectif olympique et la seule chose qui nous intéressait, c’était les titres. La France finit 1ère nation olympique car c’est la seule à avoir eu 3 médailles d’or dans ces catégories. Je suis très satisfait.

Au-delà du résultat brut, il y a aussi la manière avec 3 finales totalement maîtrisées par Alizée Agier, Sophia Bouderbane et Steven Da Costa…

C’est un peu différent pour les trois. Steven Da Costa est champion du monde et a gagné plusieurs Karaté 1. Il est invaincu depuis les Mondiaux. Tout le monde parle de lui en France. C’est lui qui a été mis en avant sur les réseaux, à la télévision quand on a su la fâcheuse nouvelle olympique. Il fallait qu’il conserve une 1ère place. Il l’a fait. Il l’a réussi de brillante manière alors que ce n’était pas facile. Il a été très bon. Il est vraiment très doué.

En -50 kg, Sophia Bouderbane a fait un magnifique parcours. Elle a sorti les meilleures. Elle m’a impressionné par la maîtrise de ses combats, son tempérament toujours extrêmement volontaire et le nombre de points qu’elle a marqué. Elle a été très brillante. Je suis extrêmement content pour elle. Elle a eu une ouverture du fait de la blessure d’Alexandra (Recchia), elle a su la saisir. Elle est championne d’Europe.

De son côté, Alizée Agier, qui a été championne du monde en 2014 et vice-championne d’Europe il y a 2 ans, a aussi eu des combats très difficiles. Elle a sorti les meilleures de sa catégorie les unes après les autres. Elle a eu une finale compliquée (face à la championne en titre, la Suissesse Quirici), et elle l’a très bien gérée, de manière professionnelle. Elle a marqué exactement quand il fallait. Je suis très, très content aussi pour elle.

« STEVEN EST TRES DOUE, SOPHIA BRILLANTE ET ALIZEE PROFESSIONNELLE »

Il y aussi la médaille de bronze d’Alexandra Feracci en kata…

Alexandra Feracci est la titulaire de manière indiscutable depuis plus d’un an. On a développé avec elle, avec son père, une forme de partenariat. On est allé discuté avec le président de la communauté d’agglomération d’Ajaccio pour lui donner encore plus de temps libre. On croit en elle. On affine tous les détails, qui vont de la technique à la présentation, sa forme de maquillage… Son travail technique s’améliore de manière indiscutable. Elle a été bien notée par les arbitres mais pas tant que ça je trouve. Elle marque des points dans la tête des arbitres présents. On va l’envoyer au Japon pour des stages très particuliers afin d’affiner cette progression technique.

Le bémol, ce sont les équipes combat…

Il faut se rappeler que nous sommes dans une dynamique olympique. Je vois d’abord les résultats des catégories individuelles. Je considère que les équipes sont notre réservoir pour les individuels.

Dans l’équipe fille championne du monde, il y avait 2 absentes. On a quand même présenté une équipe assez forte. On perd sur une erreur un peu béta, par manque de lucidité, d’une de nos sportives, qui menait son combat, qui nous amenait à la victoire à quelques secondes de la fin. Elle met une main en dehors du tapis et on perd comme ça. On n’a pas eu de chance sur ce coup-là. Mais on ne peut rien lui reprocher. Elle a tenu son rang à de nombreuses reprises. Elle tenait d’ailleurs très bien son rang quand elle a perdu de manière inimaginable.

Quant à l’équipe hommes, on a perdu assez rapidement. Je pense que cette défaite va marquer les esprits. Il y a peut-être besoin d’un rajeunissement. On avait une équipe très bonne. Là, on a loupé la compétition.

Avec 3 médailles dans les catégories olympiques, il y a de quoi raviver la cicatrice concernant Paris 2024…

Ce n’est pas une cicatrice ! L’ouverture est toujours béante ! On connait la nouvelle depuis un mois et je ne m’en suis toujours pas remis ! D’autant plus que l’on pourrait imaginer que l’on ait des explications réalistes et sérieuses et, pour le moment, on n’en a pas.

Les autorités fédérales ont rencontré le président du COJO (Tony Estanguet). L’une des réponses apportées est que des explications avaient déjà été données. On ne les connait pas ! Pourquoi 4 sports aujourd’hui ? Rien dans la charte olympique n’indique qu’il fallait 4, 5 ou 6 sports.

On nous explique qu’il fallait rester dans le gabarit de 10 500 athlètes. Mais on n’est pas du tout aujourd’hui à calculer le gabarit des 10 500. Même dans le noyau dur des 28 sports « traditionnels », on ne sait pas exactement qu’elles seront toutes les disciplines au programme. On ne peut donc pas calculer le nombre de sportifs par discipline et donc le nombre total.

C’est spécieux de parler du gabarit de 10 500 athlètes. C’est une manière erronée de faire cette présentation. Aujourd’hui, il s’agissait de connaître les disciplines possibles.

« IL Y A TOUJOURS UN ESPOIR POUR 2024. MAIS QU’ON NOUS EXPLIQUE »

Ne pas avoir d’explications concrètes vous gêne fortement…

On nous explique que l’on a les prérequis pour être olympique à Tokyo, et en même temps, Paris désavoue Tokyo puisque le COJO dit que l’on n’a pas les prérequis pour être olympique à Paris. C’est complètement irréaliste, outre le fait que c’est extrêmement difficile d’expliquer cela aux sportifs, à nos 5000 clubs et aussi aux 195 fédérations nationales de la WKF qui se demandent si la France doit être condamnée parce qu’elle n’a pas réussi à conserver les JO.

Et on ne sait pas les véritables raisons. C’est tout à fait anormal. Dans le monde d’aujourd’hui, il doit y avoir de la transparence sur les dossiers et on doit nous dire très clairement les raisons qui ont fait que l’on ne rentrait pas dans l’idée de la vision de Paris. Qu’on les exprime !

Je comprends très bien que l’on puisse choisir d’autres sports, je comprendrais très bien que l’on ne soit pas aux JO de Paris mais la décision finale, c’est l’année prochaine (décembre 2020).

Aujourd’hui, quand on nous dit que l’on n’est pas dans la « short list » pour des raisons que l’on ne connaît pas, c’est absolument insupportable. Ce n’est donc absolument pas une cicatrice car l’ouverture reste béante. C’est quelque chose que l’on ne peut pas accepter, d’autant plus qu’on ne comprend pas la décision.

La « résistance » s’organise ou, en tout cas, des actions se mettent en place (Belt Of Hope…). Y a-t-il encore un espoir ?

Bien sûr ! Il y a toujours un espoir. Je considère que cela pourrait changer après les JO de Tokyo. Quand on aura le gabarit de toutes les disciplines et que la pression, si elle continue de monter en puissance et qu’il s’avère que cela soit réaliste de mettre le karaté parce que… Il faut rappeler certains éléments. La fédération de Karaté répond à toutes les commandes de politique publique qui sont demandées par l’Etat aux fédérations.

C’est-à-dire que l’on est dans une dimension sociale dans tous les champs sociaux. On travaille avec les handicapés, dans les prisons, pour les femmes battues, pour les femmes tout court, pour les enfants dès le plus jeune âge, pour les personnes âgées, et on fait de l’assistance en matière de sport-santé. On a 5000 clubs. On est dans tous les territoires. On fait de l’inclusion tous les jours, que ce soit dans les quartiers ou les campagnes isolées.

Et on a des résultats au plan international qui sont incontestables. Alors pourquoi priver la compétition à Paris d’un sport qui pourrait rapporter des médailles ? Je crois avoir entendu dire par le président de la WKF (Antonio Espinos) qu’une des réponses du directeur général du COJO (Etienne Thobois) a été de dire que cela n’était pas important. Bah, si ! C’est le plus important ! La France met de l’argent depuis plus de 40 ans dans le sport de haut niveau pour avoir une représentation à l’internationale parce que l’image d’une nation qui gagne une compétition est forte. Avoir des médailles, c’est important !

Le 2e sujet, c’est qu’il y a un manque de respect total vis-à-vis de la fédération puisque nous n’arrivons pas nous-mêmes à expliquer à nos clubs pourquoi l’on n’est pas accepté. C’est tout à fait insupportable.

La campagne lancée par Publicis « Belf Of Hope » est porteuse d’espoir…

Une nouvelle comme celle-ci touche les gens. La communauté du karaté est importante. On n’a pas 250 000 licenciés par hasard ! Parmi eux, il y a forcément des personnes avec une position intéressante dans la société. On a été rejoint par l’agence Publicis, qui est tout de suite venu nous voir car un certain nombre de karatékas sont des dirigeants de cette agence. Ils nous ont fait des propositions. On en a aussi reçu de journalistes de télévision.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, il ne se passe pas grand-chose qu’il ne va pas se passer des choses et, surtout, qu’elles vont durer dans le temps. Il n’y a absolument aucune raison que l’on abandonne l’idée en disant que l’on a finalement compris, PARCE QU’ON N’A PAS COMPRIS. C’est ça qu’il faut comprendre. Qu’on nous explique ! Tant que l’on ne nous expliquera pas, il y aura des manifestations. Ce qui nous a été fait est très cruel. On ne va pas se soigner en 2 jours.