François Petidemange, l’un des Illustres du Karaté français, est décédé cette semaine à 80 ans. Je l’avais rencontré en 2012 pour ce qui reste l’une des rares interviews qu’il ait données. J’avais notamment écrit ce portrait. Hommage à un Grand.

Par Ludovic Mauchien / Photos Archives


 Il a été fougueux, champion du monde de Karaté en 1972, précurseur de la préparation physique, pionnier du Full contact, père de moult champions. A 69 ans, François Petitdemange continue d’enseigner dans le même club, l’Okinawa Karaté, et poursuit toujours sa recherche. Portrait d’un guerrier devenu sage.

 

« François ? J’ai énormément de respect pour lui. Quand je passe le saluer dans son « petit cabanon », il lâche tout. Pourtant, je ne représente pas grand-chose. Son accueil est énorme ! Il me présente à ses élèves comme si j’étais plus fort que lui alors que je ne lui arrivais pas à la cheville ».

Le « petit cabanon » dont parle Jean-Yves Le Marchand, élève de François Petitdemange entre 1972 et 1984 et combattant émérite de Boxe américaine, c’est l’Okinawa Karaté Club, sis à St-Maur (94).

Depuis son ouverture, en 1975, il a peu changé, si ce n’est que le temps a fait son œuvre et patiné le lieu. Les écussons représentant François Petitdemange en tenue de « Fulleur » sont toujours collés à la porte. Médailles, diplômes et photos des temps illustres arborent les murs de l’entrée. Des trésors s’y trouvent… Les tapis muraux du Dojo sont désormais quasi aussi durs que des Makiwara. Les nombreuses coupes sont toujours exposées dans leur vitrine pour rappeler aux élèves que le maître des lieux n’est pas le premier venu. On y voit d’ailleurs celle de champion du monde 72.

« Mais ce n’est ma préférée », intervient François Petitdemange. « C’est celle de finaliste de la Coupe de France 68. J’étais encore ceinture marron et, en finale, après 10-15 combats, je tombe contre Dominique Valera ! J’ai failli le battre (rires). Il m’aurait fallu plus d’expérience. Il a gagné, je m’en fous. C’était beau. Ce sont des souvenirs extraordinaires. »

« Pas un karaté de poupon »

A 68 ans, François Petitdemange ne vit pas dans le souvenir, même s’il se fait un plaisir de les remémorer. Il donne encore des cours tous les jours. « Lundi et mercredi, c’est Karaté ; mardi et jeudi, c’est full », sourit-il. « J’ai aussi d’autres disciplines, comme la musculation. En fait, je m’entraîne 3 h par jour, en comptant la condition physique, le travail technique et celui de la souplesse. C’est important. Le matin, je fais un ¼ d’heure de muscu puis je réalise des séries de Mawashi, d’Ura, de Maïte, de Gyaku. Je travaille aussi au sac. J’essaie d’avoir une domination physique sur le mouvement pour qu’il soit beau. Si mon geste est mauvais, je vais le retravailler. »

Le discours n’a pas changé. Avant même d’être en équipe de France de Karaté, de 1969 à 1975, avec laquelle il a aussi été 6 fois champion d’Europe, il prônait déjà l’importance de la préparation physique. « On s’entraînait 6 à 8 h par jour. C’était dur quand même ! Il fallait avoir une pêche et un moral… Notre foi, notre amour du Karaté faisait qu’on supportait. Il faut comprendre que pour arriver à un très haut niveau, on se doit d’avoir une super condition physique. Je partais le matin courir 10-20 km, puis je me tapais 1 h de natation. J’étais très bon. Je faisais 1 min 6 sec au 100 m crawl en 1964-65. On m’appelait le poisson ! Ensuite, je faisais du vélo. Ces trois sports me permettaient d’être en parfaite condition pour pratiquer. C’était le seul but. Mais c’est pour cela que mon cœur bat bien à 68 ans. J’ai toujours un rythme, je le sens. Je ne fais pas un karaté de poupon. Et si l’on m’y autorise, je serais toujours à l’entraînement à 80 ans. »

« Un esprit me commandait : ne pas perdre »

Certes, ses charges de travail ont diminué avec les années. Plus question de rester une heure en Kibadashi, d’enchaîner les coups de pied avec un partenaire sur les épaules, d’aligner les combats avec des sparrings… Sa pédagogie et ses méthodes aussi ont évolué. Aujourd’hui, St-Maur-Vincennes (15 km) pieds nus dans la neige, c’est fini. « Mais, à l’époque, on était content », reprend Jean-Yves Le Marchand, 64 ans. « On ne se posait pas de questions. Il fallait que le Karaté soit dur. François nous en faisait faire… En sparring, il fallait être motivés ! Mais on était heureux d’être bien rincés. Puis on allait boire une bière après. C’était la récompense ».

Champion d’Europe des lourds en 1973, François Petitdemange fréquente l’équipe de France de Karaté pour la dernière fois en 1975, aux championnats du monde de Long Beach, ses 3e à titre personnel. Mais, cette fois-ci, il ne combat pas. En 1970, il avait fini 3e en équipe. En 1972, il était le fer de lance de l’équipe championne du monde, toujours aligné en combattant n°1, celui qui ne doit pas perdre. Il sera le seul à gagner tous ses combats. Il inflige même sa seule défaite au Brésilien Watanabe, sacré champion du monde en individuel le lendemain.

« J’en suis fier. Maïte à gauche, Maïte à droite, ça a duré 30 secondes », se marre-t-il encore aujourd’hui. « Mon corps et mon esprit étaient attirés par ce mouvement, par le démarrage du Maïte. Je faisais des allers-retours de stade pendant 1 h. En combat, quand j’arrivais face à un adversaire, plus rien n’existait. Un esprit me commandait : ne pas perdre. Je ne pouvais pas laisser les copains dans le besoin. » (1)

« Je suis amoureux du Karaté »

A partir de 1975, il prend ses distances avec le Karaté, même s’il n’abandonnera jamais sa passion. « Je ne peux pas ! Dès la 1ère fois que j’en ai vu, j’ai trouvé le Karaté merveilleux. Je suis tombé amoureux ». A l’instar de Valera et d’autres, il se tourne vers la Boxe américaine. « J’ai eu un coup au moral après Long Beach. Ce sport était une suite logique, un prolongement, avec le contact réel sans perdre la technique de Karaté ».

L’Okinawa Karaté Club devient alors l’un des poumons du Full Contact. François Petitdemange effectue quelques combats. « 5 ou 6, je ne sais plus. Le dernier, ce fut contre Bekker, en 1977. Il m’a cassé les côtes. Je le sens encore quand je touche. Si j’avais gagné, j’aurais pu rencontrer Bill Wallace. J’avais 32 ans. Il y a un temps pour tout. »

Compétition mis à part, son quotidien ne change guère. Les entraînements sont toujours aussi intenses. De grands noms, tels Dominique Valera ou Richard Dieux, passent donner le change, d’illustres inconnus des quartiers avoisinants aussi… Puis il y avait les joutes dans les autres clubs. « On faisait 3-4 combats dans la soirée », en sourit Jean-Yves Le Marchand. « On allait chez Rennesson, Valera… La seule chose qui me gênait était quand François ne me prenait pas dans l’équipe. Cela signifiait que je n’avais pas le niveau. »

« Nous emmener vers une sagesse »

Il faut dire que celui-ci était élevé car François Petitdemange a su transmettre ses qualités mentales, physiques et techniques à ses élèves. Pascal Leplat, Djamel Laguerre, Tahar Matala, Mohamed Segane… ont porté haut les couleurs de l’OKC en devenant champions d’Europe ou du monde. « J’ai eu beaucoup de jeunes des cités », tient-il à préciser. « J’ai toujours considéré que le Karaté devait nous dominer et nous emmener vers une sagesse. On réinsérait des jeunes par les sports de combat. On se doit d’apporter un équilibre à la société. Professeur rime avec éducateur. Le Karaté, ce n’est pas l’idée d’être hargneux ou méchants, c’est la recherche d’un équilibre, d’un côté paisible pour le corps et l’esprit. C’est cela, la beauté du Karaté. »

Aujourd’hui plus que jamais, son côté bonhomme, sympathique et altruiste resplendit. Le bagarreur qu’il était a laissé la place à un sage, même si l’étincelle se rallume vite. Désormais, il préfère rire de ses exploits, les raconter avec humour, en oublier certains. Mais ses élèves sont là pour le rappeler, pour dire que leur professeur a toujours eu une certaine vision de la pratique et qu’il n’a pas hésité à mettre en… pratique.

« Ah oui… Le jour où j’ai arrêté les cambrioleurs à la boulangerie… J’étais jeune et solide. Ils étaient deux, l’un avec un bâton, l’autre avec une barre de fer. Je leur ai couru après. J’étais tellement déterminé qu’ils ont préféré se mettre face au mur directement », éclate-t-il de rire. « Mais ma préférée, c’est quand j’ai arrêté un mec qui était en train d’étrangler un flic place de la Madeleine. Le gars était balaize, 1,90 m. Il venait de cogner 2-3 personnes. J’ai dit à une dame de prendre ma sacoche et je mets une droite au mec. Il ne bouge pas ! Je lui ai sauté à la tête et je l’ai amené au sol. Je n’étais pas impressionné. J’étais sûr de mes capacités ».

« Ils étaient 6 ou 7… Je les ai tous sortis… »

Sur l’insistance d’un de ses élèves, il va en raconter une petite dernière… « Des mecs d’Ivry sont venus f… le bordel dans un bar tenu par un copain. Ils étaient 6 ou 7 armés de chaînes et de couteaux. Je les ai tous sortis, cela n’a duré que quelques minutes ! Je les ai finis à coups de pied dans les fesses. Il y en a même un qui a pissé dans son pantalon. J’étais dans le combat à cette époque. Je ne sais pas si c’était de l’inconscience. Il y avait surtout une maîtrise. Quand tu es face à des mecs comme eux où ça tape dans tous les sens, il faut véritablement que tu es un timing. J’étais décontracté. Le Karaté me rendait sûr de moi. Je ne raconte pas cela pour dire que je suis fort. Par rapport à la technique et l’expérience du combat que j’avais, je me devais d’intervenir. Dans la vie, je pense qu’il faut savoir aider les gens, avec ses compétences. J’étais simplement heureux d’avoir aidé quelqu’un. »

Aujourd’hui, il compte quelque 120-130 élèves. Certains ont amené leurs enfants, la plupart le suivent depuis toujours. « Cela plus de 40 ans que je m’entraîne avec François, depuis 1968 », note Abderrahman Kebaili. « Je peux vous dire que c’est un Grand. Il est vraiment amoureux de son sport et a tout fait pour le transmettre. Il ne l’a jamais fait pour l’argent. C’est son truc, sa vie. Le club est toujours ouvert et lui est toujours là. »

« J’essaie encore de m’améliorer »

Mais ne l’appelez surtout pas maître. « Il a horreur de ce mot », enchaîne Sylvain Chatenet, au club depuis 26 ans. « Il se considère comme un professeur. Son Karaté est tourné vers la défense, le réalisme dans la rue, l’efficacité. »

François Petitdemange est un messager qui assure la transmission, un homme de l’ombre qui illumine alentour. Il tend la main aux enfants et guide leurs professeurs. « Je n’ai pas de limite d’âge », sourit-il. « Je reste dans l’esprit de Funakoshi. J’essaie encore de m’améliorer, d’avancer dans mes techniques. Je continue à les répéter. L’enseignement est aussi une façon d’être toujours sur le qui-vive et à un haut niveau. A la salle, j’ai des jeunes qui sont trisomiques. C’est merveilleux de voir leur travail. Quand tu commences à leur enseigner le Karaté, ils se délivrent ! Ils te font de très belles techniques », note-t-il, ému. « Je pense aux enfants mais aussi aux professeurs. Ce sont eux qui vont leur indiquer le chemin. Il est important que le jeune soit bien guidé pour qu’il soit équilibré. » Ne serait-ce pas des paroles de Maître ?

 

En quelques dates

1945 Nait le 12 janvier à Thaon (88)

1964 Débute le Karaté

1969 Obtient sa ceinture noire

1969 Intègre l’équipe de France

1970 3e en équipes aux 1ers Mondiaux au Japon

1972 Champion du monde par équipes

1973 Champion d’Europe individuels (2e en 1974)

1975 6e titre de champion d’Europe en équipe

1975 Crée l’Okinawa Karaté Club

1986 Est nommé 6e Dan

2008 Reçoit son 7e Dan

 

Petitdemange 3